GLOCAL

Le monde selon Maurer

On sent tout le soulagement du ministre des finances d’avoir trouvé son œuf de Colomb: s’il faut accueillir moins de requérants d’asile, c’est parce que cela coûte moins cher. Opération caisses pleines et mains propres.

Ueli Maurer vient de faire une grande découverte. Une révélation bouleversante l’a frappé, tel un Claudel derrière son pilier: l’asile, messieurs dames, ça coûte bonbon. Et le ministre des finances tient à le faire savoir. Il trouve, avec l’enthousiasme des nouveaux convertis, qu’il faut propager davantage la bonne nouvelle.

L’asile hors de prix! Voilà un argument que l’UDC n’a pas assez employé, se contentant des habituelles et pauvres considérations anti-immigrés, platement xénophobes. Là, miracle, on tient une vraie bonne raison, bien suisse, bien honnête, de plaider pour une diminution drastique des admissions de requérants: ça coûte trop cher.

La santé des finances publiques, véritable ADN du système suisse, est en danger. De quoi clouer la bouche de tous ceux, vous savez, qui viennent vous traiter de raciste et autres stigmatisants noms d’oiseaux, sitôt qu’on ne montre pas un enthousiasme brûlant pour le sacro-saint droit d’asile.

On sent donc chez Ueli Maurer un profond, un vrai soulagement. Plaider contre l’asile tout en demeurant un citoyen sans tache ni reproche, et sans qu’on puise vous soupçonner d’infamie xénophobe ou islamophobe, voilà qui est donc désormais possible. Hosannah!

Du coup, tout devient simple, comme le ministre des finances le résume, ébaubi, dans une interview à la Basler Zeitung. Petit a) ce sont ses coûts qui doivent désormais déterminer la politique de l’asile. Petit b) comme les dépenses occasionnées par ces satanés demandeurs ne cessent d’augmenter, il faut réduire le nombre d’admissions. D’autant plus simple que plus l’asile devient cher, moins la population le verra d’un bon œil. Population par ailleurs judicieusement invitée à se serrer elle-même la ceinture et à se laisser ensuite aller à un noir et juste courroux.

Le bon Ueli explique ainsi, dans la foulée, que jusqu’ici, les conséquences financières — tant pour la Confédération que pour les cantons et les communes — de cette misère du monde frappant à nos portes, n’ont pas été assez mises en évidence. En clair, nous n’avons naturellement rien contre les étrangers, quelle idée! Mais reconnaissez, cher ami, qu’ils nous ruinent, ces gens-là. Et tant pis si, tel qu’il a été défini par les traités internationaux, le droit d’asile ne doit pas être apprécié en fonction de son coût mais en fonction de la situation du requérant. On ne va pas s’embarrasser avec ce genre de menus et oiseux détails.

D’ailleurs Maurer le répète, la main sur le cœur, les yeux dans les yeux, personne n’en a après «les migrants dont la vie est menacée». Mais voyez comme cela tombe bien: parmi ces réfugiés qui nous coûtent décidément trop cher, il y en a «trop à qui on accorde l’asile et qui n’en remplissent pas les conditions. Beaucoup d’entre eux sont venus en Suisse pour des raisons économiques. Ce qui ne constitue pas une raison d’asile.» Oui, voyez comme le monde est bien fait: la solution est contenue dans le problème.

Ueli Maurer est un brave homme qui aime les joies simples et qui n’a pas peur de le dire. Pour lui, le fait que les communes et les cantons se mettent à thématiser le coût de l’asile, à réclamer à la Confédération plus d’argent pour ce domaine, c’est «une chance». Mieux: «La pression financière pourrait corriger l’octroi de l’asile.»

Et lui, comme ministre des finances naturellement, aura comme devoir de fermer les robinets de l’accueil. Sans que ce coup de frein ait quoi que ce soit à voir avec le fait que lui, Ueli Maurer, grand argentier et garant de l’orthodoxie financière, soit aussi au gouvernement le représentant d’un parti hostile, par principe, passion et calcul électoral, aux étrangers. Quels qu’ils soient et quoi qu’ils coûtent. On vous l’a dit: le monde est bien fait, mais tout spécialement celui d’Ueli Maurer.