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Le pipeau du président

L’été bruisse de rumeurs autour d’un départ de Johann Schneider-Ammann, que son année à la tête de la Confédération serait en train d’épuiser. L’information est de taille: diriger la Suisse serait donc fatiguant.

Il avait fait un carton mondial lors de sa présentation de la journée des malades. On comprend aujourd’hui mieux pourquoi: lui-même ne se portait pas très bien. Oui, Johann Schneider-Ammann, président de la Confédération et chef du département fédéral de l’économie, est fatigué.

Très fatigué même, au point que les spéculations sur son départ et sa succession animent un été politique normalement voué au calme plat. Ce n’est pas la proposition de l’iconoclaste caporal Parmelin de rendre le service militaire obligatoire pour les femmes qui aurait suffi à enflammer le mois de juillet jusqu’aux brasiers patriotiques du 1er août.

Notre président a beau jouer fièrement du daegeum, la flûte coréenne traditionnelle, dans une université à Séoul, cela ressemble plutôt à du pipeau: ses déplacements présidentiels depuis janvier l’auraient mis dans un état de jetlag permanent. On l’a vu ainsi en Chine, en Iran, à Washington, en Allemagne, en Slovaquie, à Londres, Bruxelles, Oulan-Bator, Singapour et même, oui, même au Vatican. Si les voyages forment la jeunesse, il semble bien, dans le cas de Schneider-Ammann, qu’ils lessivent aussi la vieillesse.

L’âge du capitaine s’invite d’ailleurs dans le débat: 65 ans en 2017, un signe fort de départ, qui tient en trois lettres: AVS. A moins que le Bernois ne souhaite plutôt attendre le départ de sa collègue bien plus jeune, Doris Leuthard mais depuis 10 ans au gouvernement. Il n’ira en tout cas pas au bout de la législature qui s’achève en 2019, tout le monde le dit.

Lui le capitaine d’industrie, peut d’ores et déjà entendre les commentaires discrets et assassins qui circulent à son égard. Tel celui-ci, relayé par Le Temps, en forme de diagnostique sidérant: «D’expression naturellement lente, Johann Schneider-Ammann a parfois paru plus las que d’habitude, témoignent certaines sources.» Autrement dit: déjà qu’en pleine forme il ne pète pas le feu, là c’est carrément le retour des morts-vivants sous la coupole qui se joue.

Toujours est-il qu’un double départ éventuel de Leuthard et Schneider-Ammann aiguise déjà les appétits des prétendants venus de Suisse orientale et de Suisse centrale, deux régions qui ne sont plus représentées au Conseil fédéral. Parmi les papables, rien que des hommes, sauf la Saint-Galloise Karin Keller-Sutter, dont on se demande encore comment le parlement à l’époque avait pu lui préférer, justement, Schneider-Amman.

Mais la dame ne se dit plus très motivée, après le camouflet infligé. Si Keller-Sutter renonce, le coup de fatigue de Schneider-Ammann pourrait bien avoir comme dégât collatéral la réduction du nombre de femmes au Conseil fédéral à une seule — Simonetta Sommaruga — après en avoir compté quatre en 2010. Les héros sont fatigués, mais ce sont les héroïnes qui trinquent.

On n’en est pas encore là certes. Les mousquetaires radicaux font bloc autour du vieux chef épuisé, tel le genevois Christian Lüscher, très remonté contre les rumeurs estivales: «Ce Johann Schneider-Ammann ‘bashing’ est stupide. C’est d’autant plus écœurant que ceux qui colportent ces propos nauséabonds sur son état de fatigue sont les mêmes qui se font inviter pour l’accompagner à l’étranger.» Traduction: pendant que le Calif se tue à la tâche, les «iznogouds» se la coulent douce aux frais de la princesse.

N’empêche, sous anonymat, le discours des huiles radicales aurait tendance a être tout autre. Telle cette pique définitive lâchée dans 24Heures à propos du Schneider-Ammann: «Il était déjà fatigué à la tête de son département. Son année de présidence est en train de l’achever.»

Le feuilleton de l’été accouche ainsi d’une vraie information: diriger la Suisse, on ne le croirait pas, mais c’est fatiguant.