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Mauvais augure

Dans une Europe ensanglantée par les attentats islamistes, la Suisse n’en est encore qu’aux fausses alertes. En attendant l’explosion du Sonderfall?

Cela se rapproche, diront en vols serrés les oiseaux de mauvais augure. L’un des égorgeurs de prêtre n’était-il pas un ancien pensionnaire de Champ-Dollon? L’aéroport de Cointrin n’était-il pas en état de guerre au lendemain de l’attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray? Même si bien sûr le contrôle systématique des voyageurs s’avéra finalement le résultat d’une très mauvaise plaisanterie en forme de crise conjugale. La Suisse pour l’heure en est encore aux fausses alertes. En attendant les vraies?

A l’appel de l’évêque Charles Morerod de répondre par l’amour de l’ennemi, les Suisses semblent déjà préférer rétorquer en s’armant davantage. On assisterait depuis quelques mois à un boum des ventes de flingues et autres dissuasives quincailleries.

Un mouvement pas toujours très rationnel, il faut en convenir, puisqu’il semble surtout marqué du côté d’Obwald avec un bond de 49%, tandis que Genève — l’endroit semble-t-il le plus menacé par un éventuel attentat meurtrier — se situe en dessous de la moyenne nationale, avec une augmentation de 11%.

Rien n’empêche évidemment, après avoir tendu la joue gauche, selon la fameuse exhortation christique, rien n’empêche, remarqueront les plus fins casuistes, de vider son chargeur contre l’assaillant. S’il a la gentillesse de vous en laisser le temps.

Selon le président de l’Association suisse des armuriers et négociants d’armes spécialisés (ASA), Daniel Wyss, cette ruée sur les armes est bien motivée par la volonté de se protéger contre les attentats terroristes, puisque les chiffres concernant le tir sportif n’ont pas bougé. Les polices elles aussi s’activent. Celle du canton de Zurich vient par exemple de doter ses automobiles de mitraillettes.

Si les armuriers se frottent les mains, d’autres sont moins à la fête: depuis les attentats de Paris en novembre dernier, Suisse Tourisme enregistre de nombreuses annulations de clients américains et asiatiques qui renoncent à visiter le Vieux Continent. Allez donc expliquer à des Chinois ou à des Américains, à qui l’on annonce que les probabilités de nouveaux attentats en Europe sont fortes, oui allez donc leur expliquer que la Suisse ne se trouve pas en Europe. Du moins pas tout à fait.

L’illusion d’une île bienheureuse, pacifique et protégée, la fable en somme du Sonderfall, la croyance en une paix et une prospérité qui ne dépendraient que de nous-mêmes: c’est peut-être finalement le terrorisme islamiste qui pulvérisera ces contes de fées pour enfants trop sages.

On voit déjà l’avocat d’un djihadiste suisse présumé multiplier les astuces juridiques pour que son client soit laissé en liberté et sans surveillance. Ou encore émerger l’idée que pour mieux surveiller les imams douteux, la solution serait de reconnaître officiellement les diverses communautés musulmanes présentes dans notre pays. Efficace peut-être, mais avec, pour les plus chatouilleux, comme un arrière petit goût de prime à la terreur.

C’est dans ce contexte déprimant qu’intervient la fête nationale. A cette occasion, L’Hebdo a demandé à quelques personnalités de répondre à une question certes convenue, mais d’une complexité de plus en plus avérée, même devant un feu du 1er août: qu’est-ce donc qu’être Suisse? «C’est être ouvert à l’autre, le respecter dans son altérité», répond par exemple la conseillère d’État Béatrice Mettraux. Qui pourrait bien s’entendre rétorquer que le moment est peut-être mal choisi. Quant à l’économiste Samuel Bendahan, il va au plus court, pour décréter qu’être Suisse, «c’est avant tout être chanceux». Ne reste plus qu’à se demander: pour combien de temps?

On pourra préférer, sous l’air des lampions, la réponse de l’éditeur et romancier Slobodan Despot, pour qui être Suisse, c’est être «membre d’un peuple bifide qui, dans un même mouvement, se flatte d’être à nul autre pareil et se rabaisse plus bas que terre».