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Comment les Proctériens ont transformé Genève

Le dynamisme, la créativité et le pouvoir d’achat des cadres de la multinationale Procter & Gamble ont contribué à la création de nombreux restaurants, bars et start-up. Les autorités se réjouissent de cet essor, tandis que certains regrettent la «gentrification» de la métropole.

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Mercredi, 19h30. La terrasse du Chalet Bianco, dans le quartier des Eaux-Vives à Genève, est bondée. Mobilier en bois, structures en métal et ampoules tombantes en guise de lampes: le lieu revendique son inspiration des bars de grandes capitales. Côté cuisine, quelques plats soignés à la carte, et des tapas pointus. L’établissement a ouvert en octobre 2015 et ne désemplit pas depuis. Ici, la clientèle en chemise (avec ou sans cravate) vient surtout pour l’afterwork. «Nous voulions ouvrir un restaurant moderne et international», explique Michele Marchini, un des quatre fondateurs.

Cet Italien d’origine est venu s’établir en Suisse en 2000 après avoir été engagé au département marketing de la multinationale Procter & Gamble (P&G). Il se souvient d’un grand décalage entre la diversité de l’offre genevoise en matière de restauration et l’augmentation du nombre d’expatriés à cette époque: «Il n’existait que peu d’établissements branchés proposant de nouveaux produits, tels que l’on pouvait en voir à Londres ou Milan. Nous avions le choix entre les grands hôtels de luxe et les pizzerias conventionnelles. Certains d’entre nous préféraient donc passer le week-end à l’étranger plutôt qu’à Genève, ne trouvant pas d’endroits où sortir.»

Aujourd’hui, le paysage genevois en matière de restauration n’a plus rien à voir avec celui des années 2000. Bars à vin, «food trucks», magasins de donuts et autres livraisons à domicile de plats bio essaiment et donne à la ville une empreinte toujours plus internationale. Bon nombre de ces établissements ont été ouverts par d’anciens salariés de P&G.

Intégrer les expats

Le nombre d’employés de P&G à Genève a massivement augmenté à partir de 1999, date à laquelle la ville est devenue le siège pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique de la multinationale spécialisée dans les biens de consommation courante. Pour l’occasion, le géant américain déménage dans les 45’000 m2 de l’ancien siège SBS au Petit-Lancy. P&G compte alors 250 employés. Deux ans plus tard, mille collaborateurs viennent s’y ajouter. En 2013, leur nombre atteint 2800, ce qui hisse la multinationale en troisième position des plus gros employeurs du canton.

Cette nouvelle tribu, rapidement baptisée «Proctériens» par les Genevois, a nécessité une organisation importante. Il a notamment fallu trouver des centaines de logements, ainsi que des places dans les écoles et les institutions de la petite enfance. «P&G a conclu des partenariats avec des crèches locales, indique Eliane Brigger, responsable de la communication pour le siège de Genève. Dans les communes de Lancy, Genève et de France voisine, plus de 100 familles en bénéficient aujourd’hui.»

L’intégration des expatriés était également nécessaire. Quelque 70 nationalités se côtoient au sein de l’entreprise. Nir Ofek, 41 ans, venu d’Israël en 1999 pour travailler chez P&G, s’en est vite aperçu. «Quelques mois après être arrivé à Genève, je me suis rendu compte qu’il n’était pas facile de se faire des amis en dehors de l’entreprise. Les ‘vrais’ Genevois et les expatriés ne se mélangent que peu: ce sont deux mondes très distincts.» L’année de sa venue en Suisse, Nir Ofek décide de créer Sindy.ch, un groupe dédié à l’organisation de soirées pour les expatriés. Le succès de la première fête dépasse toutes ses attentes: près de mille personnes viennent, alors que les organisateurs en attendaient 200. Fort du succès de Sindy.ch, Nir Ofek lance en 2006 cialis female experience, un réseau social ciblant là aussi les expatriés. Son but: partager un verre de vin ou passer une journée à la montagne en compagnie d’autres expatriés de toute la Suisse. Le réseau compte aujourd’hui 120’000 membres, dont 70’000 rien qu’à Genève. Même s’il ne travaille plus pour P&G depuis 2007, Nir Ofek continue d’organiser des soirées par le biais de Sindy.ch. Certaines d’entre elles attirent encore jusqu’à 2000 participants, comme récemment au Théâtre Pitoëff.

Innovations de l’étranger

Selon Nir Ofek, les attentes des expatriés en matière de service expliquent en partie le caractère cosmopolite que revêt Genève aujourd’hui. «Ils ont souvent beaucoup voyagé et ont donc une multitude de points de comparaison. Les établissements genevois ont dû améliorer leur service et changer leurs produits pour satisfaire cette clientèle.»

Un changement que les Proctériens ont accompagné. Les initiatives dans les domaines de la restauration et des services les impliquant sont nombreuses à Genève. Elles ont souvent un point commun: l’importation en Suisse d’une idée venant de l’étranger. Nicholas Richmond a par exemple lancé reliable cialis genericdébut 2016, une boîte contenant des en-cas pour la semaine, conçus par une nutritionniste et livrable chez soi ou au travail. Avant de développer son produit, ce Franco-britannique de 34 ans, ancien employé de P&G, a regardé ailleurs: «J’ai remarqué que le concept fonctionnait bien dans les pays anglo-saxons. Le vrai challenge a été de l’adapter au marché suisse et de convaincre les consommateurs de son utilité.»

Idem pour NonStop Gym, ce réseau de clubs de fitness low-cost ouverts 24h/24 7j/7: de tels centres étaient déjà présents en Suède, d’où vient sa fondatrice Ellen Berg. «Les services en dehors des heures de bureau sont plus développés en Suède qu’en Suisse. Il est commun d’aller faire ses courses le dimanche ou son fitness la nuit.» NonStop Gym a ouvert sa première salle en 2014 dans le quartier de la Servette. Aujourd’hui, le club en compte trois à Genève et une à Lausanne.

Fibre entrepreneuriale

Autre dénominateur commun des business lancés par d’ex-employés de Procter & Gamble dans la restauration: une carte réduite proposant des produits sains. Hoppbox et le Chalet Bianco en sont deux exemples. A ceux-là vient s’ajouter cialis uk cost, créé par trois amis d’enfance. L’un d’eux, l’Anglo-genevois George Bowring, a travaillé trois ans pour la multinationale américaine avant de se rendre compte que son travail ne lui plaisait plus. Les trois amis ont commencé par lancer un «food truck» en 2012. Puis ont ouvert un restaurant dans le quartier des Pâquis en 2014. A la carte, trois hamburgers seulement. «Nous avons limité le choix de produits car nous recherchons avant tout l’authenticité», explique George Bowring. Selon lui, encore trop peu de restaurants à Genève proposent un concept ‘mono-produit’, alors que la tendance est grandissante à Londres par exemple. Au fond du restaurant se cache un bar à huîtres: avec là aussi seules trois sortes à choix.

Comment expliquer que tant d’établissements soient ouverts par d’anciens Proctériens? «L’employé de chez P&G a le profil-type d’un entrepreneur, explique George Bowring. Il est jeune, ambitieux et a beaucoup voyagé. De plus, l’entreprise décline ses produits partout et vers tous les publics, ce qui permet d’acquérir une très bonne formation en marketing.» L’ex-salarié de la multinationale a également ce qu’un jeune patron lambda n’a pas forcément: des moyens. «Les salaires sont confortables, ajoute George Bowring. Cela permet d’avoir les fonds nécessaires pour bien se lancer.»

Gentrification

Le maire de Genève, Guillaume Barazzone, dit accueillir de telles initiatives de manière très positive: «Ces endroits modernes et innovants participent au renouveau de l’offre genevoise en matière de restauration. Genève est une ville tournée vers l’international: elle se doit d’être attractive.» Même son de cloche positif du côté de la Société des cafetiers, restaurateurs et hôteliers de Genève. «Les restaurants doivent ressembler aux habitants du canton, dit Laurent Terlinchamp, président de l’association. Dès lors qu’il a une demande pour ce type d’établissements, il est tout à fait normal qu’ils existent.»

Certains regrettent pourtant cette tendance: «La ville tend à se configurer de plus en plus à travers les gens qui possèdent les moyens financiers, explique Luca Pattaroni, docteur en sociologie et chercheur au laboratoire de sociologie urbaine de l’EPFL. Les personnes les plus aisées peuvent facilement se saisir de l’espace urbain au détriment d’autres populations.» Il cite notamment les quartiers des Pâquis ou de Saint-Gervais dans lesquels «d’anciens restaurants disparaissent». Paule Mangeat, écrivaine genevoise et Pâquisarde, a les mêmes inquiétudes: «Certains tenanciers de bistrots n’ont plus les moyens de payer leur loyer trop élevé et sont contraints de mettre la clé sous la porte. Tandis que les expatriés plus aisés peuvent facilement reprendre les lieux. Il faut éviter que les endroits internationaux aient le monopole dans des quartiers entiers, au risque de nuire à la diversité de la ville.» Genève est-elle en passe d’être gentrifiée? «Elle l’est déjà, répond Luca Pattaroni. L’ouverture de tels établissements y a sans doute contribué.»
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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo.