TECHNOPHILE

Mon médecin, ce robot

Dans les salles d’opération, les robots assistent toujours plus les chirurgiens. A l’EPFL, plusieurs start-up développent de telles machines. Tour d’horizon.

Effectuer une suture de manière complètement autonome: c’est la prouesse réalisée il y a quelques semaines aux Etats-Unis par le robot chirurgien Star (Smart Tissue Autonomous Robot). L’approche utilisée par la machine pour reconnecter des segments de l’intestin — une intervention fréquemment utilisée pour enlever des tumeurs cancéreuses du colon — s’est même avérée meilleure que les procédés employés par les chirurgiens humains. «En éliminant l’intervention humaine, des robots autonomes pourront potentiellement réduire les complications et améliorer la sûreté et l’efficacité des interventions chirurgicales sur des tissus mous», estiment les chercheurs de l’Université George Washington en charge du projet.

Pour l’heure, ce type d’intervention reste un cas isolé: machines et médecins collaborent toujours étroitement. Le fer de lance de l’intrusion technologique en salles d’opération est le robot Da Vinci. Mis au point par la compagnie américaine Intuitive Surgical, il est utilisé pour des opérations minimalement invasives, principalement au niveau de l’abdomen: plutôt que d’ouvrir la cavité abdominale ou la cage thoracique, le chirurgien procède à de petites incisions qui permettent d’introduire ses instruments et de les amener jusqu’à la zone à opérer.

Vendu à plus de 3’000 exemplaires à travers le monde depuis son lancement il y a une quinzaine d’années, avec un coût compris entre 1 et 2 millions de francs, Da Vinci se présente sous la forme de deux parties distinctes: d’une part, un appareillage doté de quatre bras manipulateurs (dans sa dernière version) que l’on installe au-dessus du patient. Les bras, équipés d’instruments chirurgicaux et d’une caméra endoscopique, sont ensuite manipulés à distance via une console de pilotage derrière laquelle s’installe le chirurgien. «Le robot permet de réaliser des opérations chirurgicales de manière plus intuitive, grâce à une vision haute définition en trois dimensions et un surcroît de stabilité qui permet d’effectuer des gestes extrêmement précis», explique Nicolas Demartines, chef du Service de chirurgie viscérale du CHUV.

Dévoiement marketing

Concernant les avantages de la robotique pour le patient, le spécialiste se montre plus réservé. «Les études ont prouvé que pour le traitement du cancer, qui est mon domaine d’expertise principal, la robotique médicale est tout aussi bonne que la chirurgie conventionnelle ou laparoscopique. Mais elles n’ont pas encore pu démontrer qu’elle était meilleure pour le moment, parce qu’on préfère utiliser la robotique pour des opérations plus faciles, plus spectaculaires en termes de marketing. Il y a un vaste champ d’investigation sur ses bénéfices qui demeure inexploré. Par ailleurs, la robotique n’a connu que peu d’évolutions techniques majeures depuis son apparition dans le milieu des années 1990. En revanche, les aspects positifs que sont l’ergonomie et le confort du chirurgien lors de l’opération méritent d’être relevés.»

Une situation dont la start-up lausannoise KB Medical ne veut pas se satisfaire. Cette spin-off de l’EPFL vient d’obtenir la certification européenne pour son assistant robotique, baptisé AQrate. Un projet que la start-up a lancé il y a quatre ans, après avoir été approchée par John Duff, docteur au sein du Service de neurochirurgie du CHUV, en vue de trouver une solution technologique inédite au défi que représente la chirurgie des vertèbres cervicales.

«Nous avons abordé la mise au point de notre produit avec une approche fondamentalement différente de ce qui existe actuellement sur le marché, souligne Jean-Marc Wismer, son CEO. Contrairement au Da Vinci, notre appareil ne réplique pas les mouvements du chirurgien, mais lui offre une assistance pour garantir la précision de la trajectoire lorsqu’il effectue un percement ou vient placer des vis dans les vertèbres.» Concrètement, AQrate est un bras robotisé au bout duquel le médecin insère son instrument. Il saisit ensuite la poignée de son instrument et l’amène à la position désirée, intuitivement, un peu comme s’il s’agissait d’un exosquelette. Le système est doté d’un capteur lui permettant de suivre tous les mouvements et de donner un retour de force. «Une fois l’instrument en place, le robot va maintenir la trajectoire de manière extrêmement rigide, permettant ainsi un percement et un placement des vis précis malgré la contrainte des tissus tendant à faire dévier cette trajectoire.»

S’adapter au chirurgien

Une solution qui garantit une précision de la trajectoire du geste, malgré les contraintes liées aux instruments ou aux tissus qu’ils doivent traverser, et permet de diminuer les risques de lésion au niveau des artères ou de la moelle épinière du patient en particulier lors d’approches mini-invasives. «L’autre différence majeure de notre approche, c’est que notre robot s’intègre dans le processus opératoire traditionnel; c’est le robot qui s’adapte au geste du chirurgien et non l’inverse, précise Jean-Marc Wismer. Nous venons de terminer une étude clinique sur 24 patients, avec des médecins ayant chacun des techniques opératoires différentes. Notre robot a pu être rapidement utilisé par chacun de ces chirurgiens, qui n’ont pas eu à adapter leur pratique à la machine.»

Fort du marquage CE, préalable indispensable à une commercialisation, AQrate va être déployé dans l’année qui vient dans un nombre limité d’hôpitaux. «L’idée est de continuer à acquérir une expérience en collaboration avec ces centres médicaux pour nous assurer qu’il n’y ait pas d’erreurs de jeunesse et pouvoir constater les techniques les plus appropriées dans une utilisation quotidienne. La commercialisation à grande échelle devrait débuter dès 2018, sous la forme d’une collaboration avec un grand groupe disposant déjà d’une force de vente et de support sur le terrain appropriée.»

Les développements de la robotique médicale ne se limitent plus seulement à la chirurgie. Le Département des neurosciences cliniques du CHUV emploie le robot Erigo, pour favoriser le réveil de patients en phase de coma. Développé par la start-up zurichoise Hocoma, l’appareil permet également de stimuler le rétablissement des fonctions neurologiques de personnes victimes d’une attaque cérébrale ou d’un traumatisme crânien.

Fantômes en laboratoire

Autre exemple au laboratoire de sciences neurocognitives de l’EPFL dirigé par le Prof. Olaf Blanke. L’un des projets sur lesquels travaille actuellement son équipe vise à mieux comprendre les fonctions cérébrales impliquées lors des hallucinations expérimentées par certains patients atteints d’affections neurologiques ou psychiatriques, telles que la maladie de Parkinson ou la schizophrénie.

A cet effet, les chercheurs ont développé un système robotique visant à répliquer le «sentiment de présence» dont peuvent souffrir certains malades. L’expérience se déroule de la manière suivante: le sujet effectue des mouvements du bras devant lui, tout en ayant les yeux bandés. Le dispositif robotique analyse et reproduit ces mouvements derrière le patient, lui touchant le dos. La session terminée, les sujets rapportent spontanément avoir senti une présence derrière eux.

«Cette expérience nous permet d’étudier l’état du cerveau dans un état hallucinatoire de manière contrôlée, et donc de façon plus précise, explique Giulio Rognini, le scientifique en charge de l’étude, menée en collaboration avec le CHUV. Dans l’immédiat, nous essayons de voir comment notre système robotique pourrait contribuer à développer de nouveaux outils de diagnostic. A plus long terme, nous aimerions aussi l’utiliser de manière thérapeutique pour réduire les épisodes hallucinatoires, par exemple sous la forme d’un appareil portatif.»

Pour le chercheur de l’EPFL, les développements en matière de «cognetics», soit l’interfaçage entre fonctions cognitives et robotiques, n’en sont qu’à leurs balbutiements. «Les travaux du Prof. Blanke ont montré que bien des fonctions complexes du cerveau, telles que la perception de notre corps, sont basées sur des stimuli tactiles. Un jour, il devrait être possible de fournir à une personne amputée la sensation que sa prothèse de bras fait vraiment partie de son corps via une interface neuronale.»
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Une version de cet article est parue dans In Vivo magazine (no 9).

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