- Largeur.com - https://largeur.com -

L’assurance se réinvente face aux nouveaux risques

Bousculées par la technologie, les sciences actuarielles cherchent à affiner leurs modèles d’analyse. De nouveaux marchés émergent.

img_di_jour_7_sept_1.jpg

Voitures sans conducteur, drones suiveurs, robots: l’avènement d’une société automatisée n’est plus une lointaine utopie. Pour les assureurs, qui doivent accompagner ces changements sociétaux, la numérisation de la vie quotidienne laisse de nombreuses questions en suspens. Comment calculer les pertes occasionnées par une cyberattaque massive? Comment exploiter le big data? Ou encore automatiser le versement des primes d’assurance?

Pour le réassureur Swiss Re, notre société minimise les risques numériques et leurs conséquences économiques et réputationnelles. Les entreprises cherchent peu à se prémunir et à élaborer des stratégies en cas de hacking. Des assurances contre le vol de données ou la violation de la propriété intellectuelle existent, mais ces marchés restent pour l’instant limités.

Dans un récent rapport, Swiss Re encourage les entreprises à partager leurs mauvaises expériences de manière plus systématique (elles y rechignent encore pour des raisons commerciales). Ces témoignages permettraient d’élaborer une cartographie plus précise des risques cybernétiques et des dommages — directs et indirects — subis par les firmes. En raison des données lacunaires, les assureurs ne disposent pas des outils leur permettant d’établir des corrélations entre les différentes menaces. Des modèles complexes existent par exemple pour les catastrophes naturelles: «Prenez un ouragan, exemplifie Rolf Tanner, Senior Risk Manager chez Swiss Re. Nous pouvons estimer les dommages liés au vent, ceux liés aux inondations ou à la chute de l’activité commerciale. Cela nous permet d’appréhender le risque dans sa totalité et d’établir un modèle d’assurance.»

Nouveaux marchés

Mais la technologie crée déjà de nouveaux marchés pour les assureurs. Les compagnies s’intéressent par exemple à l’exploitation des mégadonnées (big data). L’utilisation des données vitales collectées grâce aux montres intelligentes pose des problèmes éthiques, ces données pouvant être utilisées pour exclure des personnes en moins bonne santé du marché des assurances. Mais d’autres applications sont moins sujettes à controverse.

Avec des partenaires suisses et internationaux, la Haute Ecole Arc Ingénierie est actuellement en train de tester, en Tanzanie et en Asie centrale, un système de gestion des ressources en eau à travers l’exploitation de données météorologiques microlocales. Max Monti, responsable du projet, considère que «ce type d’initiative pourrait créer un appel d’air. Les assureurs ont besoin de données de plus en plus précises.» Pour lui, l’installation de senseurs low cost sur les exploitations agricoles permettrait aux assureurs de calculer plus précisément le rapport entre précipitations météorologiques et rendements agricoles. Objectif: automatiser le versement d’éventuels dédommagements. «Les mesures effectuées sur le terrain avec une localisation de plus en plus fine, couplées aux techniques d’agrégation de plusieurs sources de données différentes, permettent à tout le monde — agriculteurs comme assureurs — d’y trouver son compte», explique Max Monti.

Autre évolution du marché actuariel: le développement des microassurances. Basé sur le versement de faibles primes, ce système permet d’accéder à une couche de la population qui était auparavant exclue du marché. Différentes fondations mais aussi des Etats participent au financement de ce type de système. «Le marché privé n’est, pour l’heure, pas encore arrivé à maturité», explique Rolf Tanner. Zurich Assurance est active dans ce domaine depuis 2007. Avec un consortium, la compagnie a lancé l’an dernier un incubateur de microassurances. Dix jeunes pousses doivent émerger en Afrique, Asie et Amérique latine dans les dix prochaines années.
_______

ENCADRES

Des systèmes alternatifs de gestion du risque

Les entreprises ne passent pas toujours par les assureurs traditionnels pour gérer le risque d’exploitation. Sur le marché de l’électricité, les fournisseurs peuvent, par exemple, proposer à leurs clients de payer une prime, comprise dans le prix de l’électricité, pour se prémunir contre la volatilité des prix. Alternativement, les consommateurs peuvent également obtenir sur le marché différents modèles de couverture partielle des risques. La libéralisation du marché avec l’arrivée d’énergie allemande (fortement carbonnée) à bas coût a accentué la pression sur les prix. Pour Stéphane Genoud, spécialiste du marché de l’énergie et professeur à la HES-SO Valais-Wallis Haute Ecole de Gestion & Tourisme — HEG, la volatilité des prix ne peut qu’augmenter ces prochaines années avec la hausse prévue de l’offre d’énergies renouvelables: «Dans un contexte de franc fort, il sera plus important que jamais pour les entreprises d’adopter une stratégie leur permettant de ne pas payer leur énergie plus cher que leurs concurrentes européennes.»

Autre exemple de gestion du risque: la gouvernance d’entreprise. Lors de la fondation d’une société, les entrepreneurs se tournent de plus en plus vers des spécialistes chargés d’évaluer tous les risques potentiels de conflit. «Les intérêts des actionnaires finissent tôt ou tard par diverger, explique Florent Ledentu, qui enseigne la finance et la gouvernance d’entreprise à la Haute école d’ingénierie et de gestion du Canton de Vaud — HEIG-VD. Dans le cas de cofondateurs, une convention d’actionnaires peut être un instrument efficace pour concilier les intérêts des propriétaires et limiter l’apparition de conflits entre eux. Le but de ce document est de régir les relations entre ces actionnaires pour éviter, par exemple, que l’un d’entre eux ne revende subitement ses titres à un tiers ou qu’il ne crée une nouvelle entreprise concurrente. Cette convention peut être conclue lors de la création de l’entreprise ou à tout moment, notamment lors de l’entrée d’un nouvel actionnaire.»
_______

Des doigts qui valent de l’or

Le talent d’Oliver Lewis n’a pas de prix. Aussi loin que sa mémoire le porte, ce quadragénaire britannique a toujours joué de son instrument: le violon. En 2010, il a même été sacré «violoniste le plus rapide au monde» par le Guiness des records pour avoir joué l’interlude «le Vol du bourdon» en 63 secondes, contre plus de 3,20 minutes normalement. Si le talent d’Olivier Lewis n’a pas de prix, ses doigts — les plus rapides au monde — en ont un: 1 million de dollars, soit 100’000 dollars l’unité, rapporte «Forbes». En échange d’une prime mensuelle de 3’500 dollars, ce Londonien s’est prémuni contre un accident ou une arthrite chronique mettant en péril son précieux outil de travail. La pratique fait des émules. En Allemagne, la compagnie Mannheimer propose désormais des produits d’assurance ciblant spécialement les pianistes. Mais la plus connue des firmes spécialisées dans les assurances corporelles reste la britannique Lloyds. C’est elle qui a assuré les cordes vocales de Bruce Springsteen pour 6 millions de dollars ou les mains du guitariste des Rolling Stones, Keith Richards, pour 1,6 million de dollars.

Ce modèle d’assurance remonte aux années 1940. A l’époque, la pin-up Betty Grable, dont les posters ornaient les casiers des soldats américains, avait alors fait assurer ses jambes pour 1 million de dollars. L’évolution n’a toutefois pas touché la Suisse: aucune compagnie ne propose de tels produits, faute de demande. «C’est un marché de niche», indique un assureur qui n’a pas souhaité être associé à ce type de modèle.
_______

Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 11).

Pour vous abonner à Hémisphères au prix de CHF 45.- (dès 45 euros) pour 6 numéros, rendez-vous sur revuehemispheres.com.