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Les frissons de l’Univers

La découverte des ondes gravitationnelles bouleverse les techniques d’observation de l’espace. Rencontre avec les scientifiques qui tendent l’oreille vers ces infimes oscillations de l’espace-temps.

Pour Marco Drago, chercheur en physique de 33 ans originaire de Padoue, et les 1’000 autres scientifiques de la collaboration LIGO, le 14 septembre 2015 est un jour à marquer d’une pierre blanche. LIGO (Laser Interferometer Gravitational-Wave Observatory) utilise deux gigantesques détecteurs aux Etats-Unis pour capter des oscillations dans la structure de l’espace-temps: les ondes gravitationnelles. Il y a 100 ans, Albert Einstein avait prédit l’existence de ces ondes et précisé qu’elles étaient produites par toute masse accélérée, notamment les énormes corps lointains dans l’Univers. Pourtant, jusqu’à l’automne dernier, LIGO et ses prédécesseurs étaient bredouilles.

Ce fameux jour, Marco Drago travaillait à son bureau de l’Institut Max Planck de physique gravitationnelle à Hanovre. Il surveillait des données automatiquement transférées à des centres de calcul mondiaux. Un peu avant midi, une notification est apparue sur son écran, indiquant que les données collectées par LIGO trois minutes auparavant pourraient constituer un signal. Toutes les notifications précédentes s’étaient avérées être de fausses alertes issues de vibrations terrestres ou d’autres interférences, et non pas d’un cataclysme dans l’espace. Mais cette fois-ci, le signal lui semblait fiable. «Difficile de décrire ce que j’ai ressenti, confie-t-il. Nous attendions ce moment depuis des années.»

Le 11 février 2016, après avoir contrôlé leurs instruments et analysé les données de façon approfondie, la collaboration LIGO annonçait au monde avoir enfin détecté des ondes gravitationnelles. Comme l’indique Gabriela González, porte-parole de LIGO et professeure à l’Université d’Etat de Louisiane, cette découverte est précieuse pour les physiciens car elle renforce la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein. Mais personne ne doutait que cette découverte aurait un jour lieu: des physiciens avaient obtenu dans les années 1970 la preuve indirecte de la présence d’ondes gravitationnelles en mesurant minutieusement les ondes radio émises par une étoile de type pulsar.

Ce qui passionne Gabriela González et ses confrères, c’est plutôt le potentiel révolutionnaire de cette découverte sur l’astronomie. Il deviendrait ainsi possible d’observer les phénomènes les plus intenses se produisant dans l’Univers grâce aux ondes gravitationnelles qu’ils génèrent. «Pouvoir observer une variation dans l’espace-temps est formidable, mais la communauté scientifique croit déjà à la relativité générale. Ce qui compte, c’est qu’on dispose d’un nouveau moyen d’observer l’espace.»

A l’écoute des rayons laser

Avant l’automne 2015, les astronomes utilisaient presque exclusivement les rayonnements électromagnétiques pour observer l’Univers. S’aidant de la lumière visible, des ondes radio, des rayons X et d’ondes à d’autres fréquences, les chercheurs ont pu collecter des connaissances très riches sur le cosmos, allant de la découverte des satellites de Jupiter par Galilée aux dernières observations du rayonnement fossile du big bang. Mais le rayonnement électromagnétique a ses limites: il interagit fortement avec la matière — ce qui le rend facile à détecter — mais se retrouve aussi facilement absorbé par celle-ci lorsqu’il se déplace des confins du cosmos vers la Terre.

Le rayonnement gravitationnel est fondamentalement différent. Alors que les ondes électromagnétiques se déplacent dans l’espace-temps, les ondes gravitationnelles représentent des distorsions du temps et de l’espace. Ces dernières n’interagissent que très peu avec la matière (la gravité étant une force faible), ce qui les rend presque imperceptibles. Elles sont en revanche capables de véhiculer des informations sur les mouvements survenant dans les environnements les plus extrêmes de l’Univers. De plus, tandis que les ondes électromagnétiques transmettent des images d’objets, les ondes gravitationnelles s’apparentent plutôt à des sons reflétant des mouvements.

LIGO fait partie des interféromètres que les scientifiques ont développés pour détecter ces ondes. Il possède deux dispositifs, l’un en Louisiane, l’autre dans l’Etat de Washington. Un interféromètre est composé de deux longs tubes sous vide, comme des «bras» perpendiculaires l’un à l’autre. Un rayon laser est émis depuis le sommet de leur angle: il se divise en deux et traverse chaque bras en ricochant entre les miroirs positionnés de manière très précise sur les extrémités.

Des crêtes et des creux

Normalement, les deux lasers rejoignent précisément le sommet de l’angle de manière à s’annuler mutuellement: la crête de l’un s’aligne avec le creux de l’autre, ce qui supprime la lumière à la sortie des tubes. Le passage d’une onde gravitationnelle déforme l’espace en étirant l’un des bras et en contractant le second et vice-versa suivant la propagation de ses propres crêtes et creux. L’alignement des crêtes et des creux du rayon laser est perturbé en conséquence, ce qui se traduit par des variations cycliques de l’intensité lumineuse à la sortie des tubes.

C’est précisément cette variation de l’intensité lumineuse que les scientifiques analysent pour déterminer la source de l’onde gravitationnelle qui traverse le dispositif. L’onde détectée en septembre dernier présentait un «chirp», une hausse soudaine de la fréquence pendant une fraction de seconde avant qu’elle ne s’éteigne. Il s’agit d’une caractéristique des systèmes binaires, et dans ce cas, de deux trous noirs qui ont fusionné pour en créer un autre, plus grand et tourbillonnant sur lui-même. En plus de prouver que les trous noirs existent, cette onde a permis aux scientifiques d’observer que la masse des trous noirs en question était 29 à 36 fois supérieure à celle du Soleil, et qu’ils ont fusionné il y a environ 1,3 milliard d’années.

Ewald Mueller, physicien de la Technische Universität München et de l’Institut Max Planck d’astrophysique près de Munich, se réjouit de cette découverte. Mais il attend avec impatience les prochaines observations de LIGO et d’autres observatoires d’ondes gravitationnelles, notamment Virgo, l’interféromètre situé près de Pise. Il est particulièrement à l’affût de traces de fusions d’étoiles à neutrons, dont les ondes gravitationnelles révéleraient le comportement de la matière à des densités extrêmement élevées. Il se réjouit également de pouvoir analyser lesexplosions d’étoiles, dites «supernovae», dont les ondes gravitationnelles sont émises avant les ondes électromagnétiques, ce qui pourrait offrir une vue plus récente et plus directe du processus d’une supernova.

Pour Ewald Mueller, «cette découverte ouvre une nouvelle porte sur l’Univers et permet d’observer des objets qu’on ne connaissait jusqu’alors que de manière indirecte».

Une question de précision

Si les ondes gravitationnelles n’ont pas été découvertes plus tôt, bien que les scientifiques les traquent depuis les années 1960, c’est à cause de l’extrême faiblesse de leur interaction avec la matière. Einstein pensait même qu’elles ne seraient jamais découvertes. L’onde détectée en septembre n’a déformé l’espace que d’une proportion d’un sur 1’000 milliards de milliards. Les bras de LIGO et Virgo mesurent respectivement 4 et 3 km pour rendre ces variations relatives les plus visibles possible dans l’absolu. Malgré cela, la contraction et l’étirement des bras de LIGO étaient à peine perceptibles: environ un millième de la largeur d’un noyau atomique.

Ces fluctuations sont ainsi bien plus faibles que celles causées par des sources de «bruit» communes: ondes sismiques, variations de température, passage d’une voiture… Au début de ses opérations, entre 2002 et 2010, LIGO employait des techniques basiques pour réduire le bruit, ce qui l’empêchait finalement de détecter quoi que ce soit. Après une optimisation de cinq ans et l’emploi de matériaux avancés, les progrès sont incontestables. La fusion des trous noirs a été détectée deux jours après sa remise en fonction.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 9).

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