LATITUDES

Des méthodes alternatives pour gérer la douleur

Hypnose, réalité augmentée ou auriculothérapie: de plus en plus de techniques pour gérer les douleurs sans médicaments se développent. D’une efficacité étonnante, elles favorisent la qualité de vie du patient à long terme.

Qi qong, acupuncture, sophrologie, relaxation, méditation de pleine conscience, hypnose ou auriculothérapie: au Centre de la douleur de l’Institut Gustave Roussy de Villejuif, en région parisienne, l’éventail thérapeutique de gestion de la douleur s’est largement diversifié ces dernières années. Sabine Brulé, médecin généraliste, s’y est spécialisée dans le traitement de la douleur. Auriculothérapeute, elle utilise aussi l’acupuncture, l’hypnose, la mésothérapie et la posturologie: «Les patients viennent me voir lorsqu’ils ont fait le tour de tous les traitements médicamenteux et qu’ils saturent. Déconnectés de leurs sensations par des traitements au long cours, ils ont des troubles de la mémoire, de la concentration, de l’équilibre… Et toujours des douleurs. Avec l’auriculothérapie, il faut arrêter la prise de médicaments, mais on obtient des résultats immédiats, dès la première séance, et dans la plupart des cas, le problème est réglé en trois séances espacées d’un mois.»

Le principe? Il s’agit de neurophysiologie appliquée. L’oreille est un carrefour des voies nerveuses ascendantes et descendantes par lesquelles transitent les messages douloureux. Il suffit de piquer au niveau de l’oreille les zones de projection des organes touchés pour envoyer au niveau central une stimulation inhibitrice de la douleur.

Recherches innovantes

«C’est une technique très efficace sur les douleurs cicatricielles et neuropathiques, c’est-à-dire lorsque le réseau nerveux est atteint, considère Sabine Brulé. Dans les douleurs chroniques comme les zonas, les céphalées ou les sciatiques, l’impact est purement symptomatique, mais il peut permettre de lever l’inflammation et de casser le cercle vicieux de la douleur.» En traumatologie, l’auriculothérapie se rend utile aussi pour traiter les douleurs aiguës et permettre de diminuer la prise de médicaments en post-opératoire. A la Haute école de travail social Genève – HETS-GE, la professeure en filière psychomotricité Chantal Junker-Tschopp a développé depuis trois ans une technique de rééducation innovante pour traiter les patients amputés affectés par la douleur du membre fantôme, une douleur ressentie au niveau du bras ou de la jambe qui n’est plus présent. «La douleur du membre fantôme est liée au fait qu’il y a discordance entre le message visuel qui dit que le bras n’existe effectivement plus et le message émis par le cerveau qui continue à percevoir les sensations de présence de ce bras, explique Chantal Junker-Tschopp. En réaction, le cerveau envoie un message de douleur pour signifier qu’il y a une incohérence.» Or, si on élimine cette incohérence, la douleur disparaît instantanément. La professeure a donc imaginé un dispositif où le patient plonge son bras amputé dans du sable ou dans de l’eau, des matériaux qui vont stimuler en finesse le sens du toucher et situer les limites réelles du corps au niveau de l’amputation. En répétant ces situations, on permet au cerveau de retravailler ses connexions et la douleur fantôme disparaît définitivement en moins de deux mois.

Au Centre d’antalgie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) et de la faculté de biologie et de médecine de l’Université de Lausanne, la Professeure Isabelle Décosterd étudie les mécanismes de la douleur neuropathique: «Qui dit hypersensibilité à la douleur dit hyperexcitabilité des neurones sensoriels», explique-t-elle. Une hyperexcitabilité qui se traduit sur la paroi cellulaire par une augmentation du nombre de canaux ioniques.

Plusieurs laboratoires à travers le monde ont exploré comme piste de recherche la possibilité de bloquer ces canaux ioniques afin de diminuer la sensation de douleur. La Professeure Décosterd, le Dr Cédric Laedermann et le Professeur Hugues Abriel de l’Université de Berne ont, quant à eux, privilégié l’idée de diminuer le nombre de canaux. Comment? En introduisant au coeur de la cellule au moyen d’un virus porteur le gène qui code pour la protéine Nedd 4-2, responsable de la régulation du nombre de canaux ioniques. Une piste originale, testée chez la souris dès 2013: «Notre solution est plus spécifique que le simple blocage des canaux, puisqu’elle vise à restaurer l’équilibre naturel de la cellule, explique Isabelle Décosterd. A terme, cette piste pourrait permettre de développer en pharmacologie des molécules particulièrement adaptées aux douleurs neuropathiques et qui généreraient moins d’effets secondaires que lorsqu’on bloque les canaux électriques.»

Hypnose

Parmi les nombreux projets de recherche innovants de lutte contre la douleur, l’hypnose occupe une place de choix. Guylaine Tran, médecin anesthésiste, s’est formée à l’hypnose dès 2007 et porte aujourd’hui un projet au CHU de Nîmes. Depuis 2010, 30 soignants y sont formés chaque année: «Médecins, physiothérapeutes, sages-femmes, infirmières, manipulateurs radio, on ne peut pratiquer l’hypnose que dans son domaine d’intervention habituel, explique-t-elle. Nous avons donné la priorité aux services anxiogènes comme le bloc chirurgical, l’imagerie interventionnelle où on réalise par exemple les ponctions, l’endoscopie digestive, les urgences, la pédiatrie ou les soins palliatifs.» Il existe différents degrés d’hypnose: «Il faut que le patient atteigne un état de dissociation où le corps se trouve à un endroit et l’esprit est ailleurs, état qui va lui permettre de devenir très suggestible», explique Guylaine Tran. A contrario de l’hypnose formelle, l’hypnose conversationnelle implique un état de dissociation plus modéré.»

Concrètement, le patient doit venir le jour de l’intervention avec le souvenir d’une activité agréable, qu’il va raconter à la praticienne avant une endoscopie par exemple. Une fois hypnotisé, il va poursuivre tout au long de l’intervention son rêve éveillé, et ce sera ce souvenir-là qu’il conservera à la place du souvenir de l’endoscopie.
Dangereux, l’hypnose? Aujourd’hui, fini l’hypnose «autoritaire»: «L’hypnose que nous pratiquons est l’hypnose ericksonienne, c’est-à-dire une hypnose éthique, permissive et respectueuse du patient, qui lui permet de mobiliser ses propres ressources», souligne Guylaine Tran. L’hypnose accompagnée d’une anesthésie locale ou régionale peut remplacer une anesthésie générale lors de chirurgies superficielles, comme des interventions au niveau du sein, de la face, de la thyroïde, des varices ou même d’une hernie inguinale. Lors d’un examen par endoscopie, l’hypnose peut même se suffire à elle-même. Ou être associée à un analgésiant à très petite dose, car elle en potentialise l’effet.

Serious Games

Le sage-femme Benoît Le Goëdec est aussi praticien en médecine chinoise traditionnelle: «L’accouchement avec acupuncture est un accouchement plus court, plus physiologique et donc moins algique», explique-t-il. Le bon moment pour commencer? Dès la dixième semaine de grossesse, à raison d’une séance par trimestre. «Avec ce type de préparation, la douleur obstétricale n’est pas là dès le début de l’accouchement, mais seulement lorsque les contractions deviennent plus fortes, poursuit Benoït Le Goëdec. La dilatation complète du col est plus rapide et la femme n’a pas le temps de s’installer dans l’appréhension de la prochaine contraction.» Et puis: «Ce qui avait été oublié et qui émerge à nouveau aujourd’hui, c’est le travail sur le sens des choses, sur l’acquiescement, le coaching vers l’objectif de la femme, observe Benoît Le Goëdec. Il faut redonner à la femme le sens de son pouvoir afin qu’elle puisse se reconnecter à sa propre force, surtout si elle accouche à l’hôpital. Le plus important, c’est la sécurisation affective des femmes, par le conjoint, par la sagefemme. Si cela n’est pas construit, la technique ne sert à rien.»

Quel parent n’a pas été angoissé à l’idée d’emmener son enfant faire une banale prise de sang? A la Clinique Sainte-Anne Saint-Rémy à Bruxelles, l’infirmier anesthésiste Jérôme Laurent a développé un jeu sérieux sur tablettes pour aider les enfants à vivre plus sereinement examens médicaux, gestes chirurgicaux ou encore débuts d’anesthésies. Avec «VR4 SMILE», l’enfant se trouve en mode «réalité augmentée», c’est-à-dire qu’il voit son environnement sur l’écran et joue à le modifier. Exemple: «On peut déposer des nuages sur les genoux des patients en salle d’attente ou cacher l’infirmière qu’on ne veut pas voir», explique Jérôme Laurent. Ou encore utiliser un camion de pompier pour arroser ses pieds à la sortie d’une opération douloureuse du pied.

A la Haute Ecole Arc Ingénierie – HE-Arc Ingénierie, à Neuchâtel, Stéphane Gobron, directeur du Groupe de compétences Imagerie, a créé un jeu sérieux pour la rééducation des patients ayant subi un accident vasculaire cérébral. Le patient endosse le rôle d’un pilote de vaisseau spatial et doit activer la motricité de ses jambes pour passer à travers des arches ou d’un livreur de pizzas à vélo dont l’itinéraire est semé d’obstacles et de pentes variées. Grâce à un robot dit haptique, le jeu permet de donner au patient la sensation du toucher: «Lorsqu’on est plongé dans une tâche passionnante, on a le potentiel d’ignorer la douleur ressentie, explique Stéphane Gobron. La distraction permet de focaliser son esprit ailleurs et de diminuer la perception que l’on a de la douleur.»
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 11).

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