TECHNOPHILE

Epidémies interceptées en vol

Les transports aériens ont fortement accéléré la propagation de maladies à travers le globe. Un professeur danois met le contenu des toilettes d’avion sous la loupe du séquençage d’ADN et révèle ainsi de précieux indices sur la diffusion des maladies infectieuses.

Rares sont ceux qui s’interrogent sur le destin de leurs déjections lorsqu’ils tirent une chasse d’eau en vol. Mais pour Frank Møller Aarestrup, professeur à la Danmarks Tekniske Universitet, celles-ci représentent une mine d’informations sur l’origine et la diffusion de pathogènes et de résistances antimicrobiennes. Il a fait la une des journaux l’été 2015 en publiant des analyses ADN du contenu des toilettes de vols internationaux. Il estime aujourd’hui que de telles analyses devraient devenir la norme.

«J’ai été étonné de la simplicité et du prix abordable de cette approche», déclare Frank Møller Aarestrup. Grâce à des techniques novatrices de séquençage ADN, il a pu détecter la quasi-totalité des microbes et des gènes résistants dans les échantillons. La propagation de maladies contagieuses est traditionnellement étudiée en identifiant des isolats cliniques de patients dans des laboratoires locaux. Les résultats doivent ensuite être partagés et évalués aux niveaux national et international. «Cela peut prendre des années et les données ne sont ni structurées ni standardisées, tandis que le séquençage ADN est standardisé, facile à comparer et simple à partager via internet», explique le chercheur.

En 2011, avec ses collègues, il a découvert que l’épidémie de choléra à Haïti avait été déclenchée par des soldats népalais de l’ONU. «Malheureusement, il était déjà trop tard pour intervenir.» La technique est bien plus utile lorsqu’on surveille la propagation d’une épidémie en temps réel. «Aux Etats-Unis, la FDA et la CDC l’ont appliquée aux pathogènes d’origine alimentaire et ont ainsi pu mettre en place des interventions ciblées.»

Frank Møller Aarestrup ne veut pas se limiter aux patients. « Nous voulons étudier des populations entières cliniquement saines, afin d’obtenir une meilleure vision d’ensemble des pathogènes et des résistances antimicrobiennes. » Telle était la logique de l’analyse des toilettes d’avion, qui va désormais être étendue aux canalisations des eaux usées.

Le chercheur a calculé qu’en réalisant localement des séquençages ADN, il serait possible d’analyser 1000 sites par semaine pour environ 2 millions d’euros par an. «Ce n’est rien à côté des coûts actuels d’échantillonnage et d’analyse d’isolats, cliniques ou non. En surveillant les zones à forte densité de population, nous pourrions améliorer notre connaissance des voies de propagation et déceler plus tôt les situations à risques. A l’échelle mondiale, environ 22% des décès sont provoqués par des maladies contagieuses. Nous devrions pouvoir réduire ce chiffre de moitié.»
_______

Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 8).

Pour souscrire un abonnement à Technologist au prix de CHF 45.- (42 euros) pour 8 numéros, rendez-vous sur technologist.eu.