TECHNOPHILE

Economie circulaire: un accélérateur de croissance

Réutiliser, refabriquer ou recycler: un nouveau mode de consommation durable commence à s’imposer en Europe. Explications.

L’économie circulaire pourrait se révéler très rentable et doper l’économie de l’Union européenne (UE) de 900 milliards d’euros d’ici à 2030, d’après le cabinet de conseil aux directions McKinsey & Company, la Fondation Ellen MacArthur et la Commission européenne. La Commission a calculé que cette approche permettrait aux entreprises européennes d’économiser 600 milliards d’euros par an, améliorerait la compétitivité à l’international, créerait des emplois et réduirait les émissions de gaz à effet de serre de l’UE de 2 à 4%.

En décembre 2015, l’organe exécutif de l’UE a adopté un train de mesures pour faciliter la transition vers une économie circulaire. Parmi ces dispositions figurent l’objectif de recycler 65% des déchets municipaux d’ici à 2030, des incitations pour l’écoconception des produits, la suppression de barrières législatives et le financement de technologies innovantes. «L’économie circulaire répond à un défi majeur, qui consiste à faire plus avec moins, et permet de stimuler la compétitivité, de créer des emplois et de générer une croissance durable», s’enthousiasme le vice-président de la Commission européenne, Jyrki Katainen.

Des entreprises pionnières en appliquent déjà certains principes. Si vous avez déjà porté une veste Patagonia, manœuvré des machines Caterpillar, foulé du revêtement Tarkett ou utilisé un photocopieur Xerox, vous avez pris part à des circuits techniques fermés ou quasi fermés: les produits et composants sont réutilisés, transformés et, en dernier ressort, recyclés.

Chercheurs d’or urbains

Les produits non biodégradables utilisés et jetés chaque jour en Europe constituent 70% des déchets municipaux: une précieuse «mine urbaine» de matières premières. Dans le secteur potentiellement lucratif des déchets électroniques, par exemple, les milliards de téléphones utilisés partout dans le monde représentent un véritable gisement à portée de main. «La concentration en minéraux y est bien plus élevée que celle des minerais d’or», explique Jaco Huisman, conseiller scientifique à l’Institut pour l’environnement et la sécurité humaine de l’Université des Nations unies à Bonn en Allemagne.

La récupération de certains matériaux issus de déchets électroniques peut s’avérer techniquement compliquée et économiquement peu viable, contrairement à celle d’éléments très concentrés, tels que l’or. Les produits doivent donc être conçus de sorte à optimiser la récupération des matières premières.

Jaco Huisman, coordinateur scientifique du projet ProSUM, financé par l’UE et la Suisse et qui réunit 17 partenaires, veut contribuer à favoriser l’exploitation des mines urbaines. Le programme consiste à cartographier ces gisements européens pour établir une base de données semblable à celle des ressources primaires en répertoriant les déchets électroniques, les batteries, les véhicules usagés et les déchets miniers d’Europe. Il vise à proposer une vue d’ensemble des matières premières secondaires en Europe, notamment des ressources très demandées comme le néodyme, indispensable aux véhicules électriques et technologies des énergies renouvelables. «Les déchets électroniques regroupent plus de 58 métaux, précise Jaco Huisman. Pour parvenir à une économie circulaire, il faut pouvoir les localiser.»

La technologie à la rescousse

La mutation technologique actuelle est propice à l’économie circulaire. L’internet des objets et le big data permettent par exemple d’optimiser l’efficience et la performance des produits. Les plateformes de partage telles qu’Airbnb pour l’immobilier ou BlaBlaCar pour la voiture promeuvent l’économie collaborative. Les produits et services virtuels, comme les livres électroniques et le logiciel de communication Skype, remplacent les objets physiques. Et les nouvelles technologies favorisent les procédés de fabrication plus verts.

En 2015, l’Université technique d’Eindhoven (TU/e) a lancé la première voiture modulaire, un véhicule électrique construit dans un nouveau composite de biofibres. La Nova s’adapte aux besoins de son propriétaire, qui peut la garder à vie: quelques ajustements suffisent à changer la configuration des sièges, ainsi que la couleur et la forme du véhicule. Le composite utilisé est solide, léger, recyclable et plus durable que les matériaux renforcés en fibre de verre traditionnels. Le poids de la voiture (moins de 300 kg) permet de parcourir 800 km avec un litre de carburant et un moteur à combustion.

Pour le professeur Ad van Wijk, qui enseigne les systèmes énergétiques futurs à l’Université de technologie de Delft, aux Pays-Bas, il sera possible de construire une maison en bioplastique à l’aide d’une imprimante 3D d’ici à cinq ans. Des matières premières renouvelables, comme la betterave sucrière, peuvent déjà être transformées en bioplastiques, lesquels sont utilisés pour l’impression de pièces en 3D, indique-t-il. Les bioplastiques peuvent ensuite être fondus pour servir à de nouvelles impressions. L’impression 3D de maisons reste une tâche ardue. Mais les nouveaux procédés de fabrication sont avantageux: économies logistiques grâce à l’impression de matériaux directement sur le site, réduction, voire suppression des déchets, abandon de produits à forte teneur en carbone comme le béton et réimpression possible des matériaux en circuit fermé.

Ad van Wijk est convaincu que l’impression 3D peut révolutionner les procédés de production. Bien que les technologies ne soient pas encore tout à fait abouties, les pionniers de l’économie circulaire ouvrent la voie à des façons de penser et de produire innovantes et moins linéaires.
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ENCADRE

Vendre des services en lieu et place de biens

Le modèle Cradle to Cradle (C2C, en français «Du berceau au berceau») dépasse les principes de base de l’économie circulaire et puise son inspiration dans la nature. Outre la création de boucles fermées sans déchets, durables et inoffensives pour les humains et la planète, il vise à contribuer activement à régénérer l’environnement.

«L’efficience peut s’avérer contre-productive si elle est utilisée à mauvais escient, dit Michael Braungart, à la tête de la chaire ‘Cradle to Cradle pour l’innovation et la qualité’ à l’Université Erasme de Rotterdam, aux Pays-Bas. C’est une question d’efficacité.» Le chercheur considère les biens manufacturés comme des services et non des produits. Selon lui, leur durée de vie doit être optimisée grâce à des matériaux de qualité, puis ils doivent être loués, réutilisés, transformés ou recyclés: «En février 2017, nous allons lancer une machine à laver que nous ne vendrons pas en tant que telle. Nous proposons plutôt de vendre 3’000 cycles de lavage à l’utilisateur. C’est le fait d’avoir des vêtements propres qui importe, pas la machine. Au bout de huit ans, le lave-linge sera rendu, 20% de ses composants seront remplacés et 80% seront réutilisés.»

La même vision se retrouve dans la collaboration de Michael Braungart dans le secteur de la construction avec Werner Lang, de l’Institute of Energy Efficient and Sustainable Design and Building de la Technische Universität München. «Le plus important est d’assembler les matériaux de manière réversible, souligne-t-il. Nous construisons en quelque sorte des maisons Lego modulaires dont les composants sont réutilisables.»

Le projet NexusHaus, conçu récemment par des étudiants de Werner Lang, constitue un bon exemple. Cette maison modulaire, presque entièrement construite en matériaux durables et non toxiques, génère plus d’énergie qu’elle n’en consomme, possède un système aquaponique qui relie la culture de légumes et l’élevage de poisson et couvre la plupart des besoins en eau de ses habitants. Elle a remporté la quatrième place de la compétition interuniversitaire mondiale Solar Decathlon en 2015, un concours où les étudiants ont dix-huit mois pour construire le meilleur habitat en utilisant uniquement le soleil comme source d’énergie. Transformée en lieu de vie et en unité de recherche de l’observatoire McDonald de l’Université du Texas, à Austin, elle pourrait servir de prototype à la production de masse de maisons modulaires.
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DEFINITIONS

Economie circulaire
Dans une économie circulaire, les ressources conservent à tout moment leur valeur et leur utilité, car elles circulent en circuits biologique et technique fermés. Les «déchets» ont ainsi une deuxième vie.

Exploitation des mines urbaines
Récupération de matériaux provenant d’objets usagés, de bâtiments et de déchets.

Matières premières secondaires
Déchets pouvant être recyclés ou retraités pour être utilisés comme matières premières.

Cradle to Cradle
Concept visant à créer des boucles écologiques sans déchets ayant de plus un impact positif sur l’environnement.

Aquaponie
Système fermé de production de légumes et de poissons qui recycle les nutrients (déchets) et l’oxygène produits.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 10).

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