TECHNOPHILE

Eindhoven illumine l’Europe

Autrefois dominée par le fabricant d’électronique Philips, la ville néerlandaise abrite aujourd’hui une université dynamique et son cortège de start-up, qui forment le «kilomètre carré le plus intelligent d’Europe».

Une longue nuit de fête touche à sa fin à Stratumseind, la rue chaude d’Eindhoven, et les lieux ne sont que faiblement éclairés. La police aurait voulu plus de lumière, mais des professeurs de l’Université technique d’Eindhoven (TU/e) ont préconisé une autre manière de faire. Plutôt que de simplement illuminer davantage la rue, ils ont voulu tester l’impact des variations d’intensité et de couleur de la lumière sur l’humeur et le comportement. Parallèlement, des données ont été collectées de façon anonymisée sur la vie nocturne du quartier, incluant le nombre de personnes entrant et sortant, l’activité sur les réseaux sociaux ou encore la nature des sons émis par les visiteurs. En combinant ces informations, les autorités veulent rendre la zone plus sûre et plus accueillante. Cette approche novatrice basée sur la science est emblématique de la ville néerlandaise, à la pointe de l’innovation en Europe.

Plus de 140 entreprises et 10’000 employés sont installés sur le Campus High Tech d’Eindhoven, baptisé le «kilomètre carré le plus intelligent d’Europe». Ces sociétés déposent à elles seules près de 40% des brevets du pays. En 2011, un organisme de recherche new-yorkais à but non lucratif, l’Intelligent Community Forum, a élu la région — qui absorbe près d’un tiers des investissements privés néerlandais en R&D — «Communauté la plus intelligente de l’année». Un prix prestigieux qui honore cette partie des Pays-Bas connue pour sa culture de la modestie. Le jury a loué la proximité et l’interconnexion physiques, intellectuelles et sociales dans la ville. «A Eindhoven, la collaboration prend tout son sens», résume Steef Blok, directeur de l’Innovation Lab de la TU/e, l’une des locomotives de l’innovation eindhovenoise.

Transfert technologique

Imaginé comme un bureau de transfert technologique, l’Innovation Lab joue un rôle crucial dans le rapprochement de la science et du monde extérieur, en encourageant les scientifiques à développer leur esprit entrepreneurial. Le potentiel commercial des technologies est évalué au moyen d’une échelle de niveau allant de 1 (démarrage) à 9 (prêt pour production). «Les universités les préparent jusqu’au niveau 2 ou 3 et les entreprises interviennent au 5 ou 6, indique Steef Block. Notre travail consiste à relier les étapes 3 et 5 grâce à des start-up et des fonds dits d’‘amorçage’ et de ‘preuve de concepts’.»

Des dizaines de start-up ont émergé ainsi au cours des dix dernières années. Bel exemple de réussite: cialis available dosage, une firme issue de la TU/e basée à Eindhoven et à Zurich, en Suisse, a développé des implants bioabsorbables permettant au patient de recréer une valve cardiaque à partir de ses propres cellules. Leur commercialisation est prévue d’ici à cinq ans. Autre pari gagné pour l’établissement technique: Peer+ et ses fenêtres qui transforment l’énergie solaire en électricité. La multinationale allemande Merck en a fait l’acquisition en 2014 et a récemment investi 15 millions d’euros dans la production de ses «vitres intelligentes».

Selon Edgar van Leest, directeur de la stratégie et des affaires publiques chez Brainport Development, une société de développement économique pour la région, «innover ce n’est pas inventer, mais savoir s’adapter à une nouvelle réalité. Ce principe rejoint celui de la sélection naturelle décrit par Darwin.» L’adaptabilité est donc clé, un précepte adopté par TU/e. Les PME, qui n’entretenaient autrefois aucune relation avec l’université, constituent aujourd’hui son deuxième partenaire. L’institution a établi six thèmes pluridisciplinaires dont la santé, la mobilité intelligente et l’énergie, ainsi que trois centres: sciences des données, systèmes high-tech et intégration photonique. Le nombre d’étudiants est passé de 7’000 à 14’000 depuis 2011.

Laboratoires vivants

C’est dans cette même optique d’interconnexion qu’ont été créés les Living Labs, qui constituent à la fois des projets d’innovation et des modèles commerciaux pour la région. Grâce à ces «laboratoires vivants», la TU/e est reliée à son environnement et travaille avec des industriels. Il s’agit en général d’initiatives de l’université soutenues par les étudiants et développées en collaboration avec la ville d’Eindhoven et des PME locales. «Les partenaires récoltent les fruits du projet, précise Steef Blok. Tout le monde y gagne: les PME sont toujours à court de temps et de budget, tandis que les connaissances produites renforcent la capacité d’innovation de la province.»

Les études menées autour de la Stratumseind sont elles-mêmes issues d’un Living Lab, financé notamment par le géant technologique américain Intel et le Dutch Institute for Technology, Safety and Security (DITSS), une plateforme d’innovation mise sur pied par le gouvernement néerlandais, des institutions académiques et des entreprises autour de questions de sécurité. Sont également impliquées des firmes comme le fournisseur français de services numériques Atos, qui a donné aux unités de secours de précieuses informations sur les incidents nocturnes. Le Living Lab Stratumseind a reçu un Digital Impact Award pour sa contribution à la sécurité.Ce n’est pas un hasard si un Living Lab a choisi de se pencher sur l’éclairage. Le pôle technologique d’Eindhoven doit son existence à Philips, le groupe d’électronique fondé dans la ville en 1891 par Frederik et Gerard Philips, qui ont prospéré en vendant des… ampoules. Bien que le siège social de Philips soit désormais situé à Amsterdam, la capitale des Pays-Bas, Eindhoven reste la «ville lumière».

Et c’est encore grâce à la lumière que la cinquième ville du pays entend désormais contribuer au domaine photonique en développant une technologie de transport de données dotée d’une meilleure capacité. Dans les câbles en fibre optique, les données sont déjà acheminées par voie photonique, mais les puces de traitement informatique restant électroniques, les data center doivent convertir les informations en signaux électriques. Ces puces électroniques consomment plus d’énergie que les nouvelles puces photoniques et sont aussi plus lentes. «La consommation de données finira par dépasser la technologie actuelle, anticipe Steef Block. La photonique sera alors la solution tout indiquée.» Eindhoven n’a pas fini d’illuminer l’Europe.
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ENCADRE

Le design néerlandais: éclectique et amusant

C’est en 1995 que Marcel Wanders, figure emblématique du design néerlandais, s’est fait remarquer pour sa «Knotted Chair», une pièce aujourd’hui intégrée à la collection du Museum of Modern Art à New York. Le design néerlandais, qui se distingue par son approche minimaliste, innovante et peu conventionnelle, et par une pointe d’humour, est depuis devenu une marque mondiale réputée.

Les Pays-Bas ont donné naissance à des designers reconnus dans le monde entier. Qu’il s’agisse de marques de premier plan comme Moooi et Droog ou de designers plus expérimentaux tels que Joris Laarman, Lucas Maassen et Piet Hein Eek, ils ont un point en commun: la Design Academy Eindhoven (DAE), créée en 1947.

Installée dans le bâtiment de la «Witte Dame» (Dame Blanche), une ancienne usine Philips située au centre-ville, la DAE n’est pas une école de design comme les autres. Ses 150 professeurs n’enseignent qu’un seul jour par semaine, consacrant le reste de leur temps au monde du design. Une manière de rester à l’affût des tendances et proposer à leurs étudiants des projets concrets. D’autant plus que la DAE se trouve dans la zone de Strijp-S, une partie de l’ancienne usine Philips aujourd’hui transformée en incubateur, ce qui permet aux étudiants de côtoyer les professionnels présentant leurs dernières créations.

Ces dernières années, la DAE a adapté son approche pédagogique face aux nouvelles technologies et au besoin de relever les défis sociétaux. Les étudiants «créaient des œuvres pour les musées», déclarait Thomas Widdershoven — l’ex directeur créatif de l’institution — au site Dezeen. «Maintenant, ils observent le monde qui les entoure, ils se confrontent à la crise et créent en fonction.»

Exemple avec Nils Chudy, du duo Chudy & Grase, qui a repensé l’idée de la bouilloire. Le design simple, mais efficace de Miito économise de l’énergie en chauffant le liquide par induction directement à l’intérieur du récipient. Teresa van Dongen, une autre créatrice influente et ancienne étudiante de la DAE, a reçu le prix Young Designer lors des Dutch Design Awards 2015 pour sa lampe suspendue fonctionnant sans électricité. Une création inspirée par ses études en biologie qui utilise une bactérie s’allumant lorsque la lampe bouge.

Grâce à leur formation, les étudiants de la DAE ne se demandent plus «Comment puis-je m’affirmer?», mais plutôt «Pourquoi les choses sont-elles ainsi et comment puis-je les améliorer?»
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DATA

88,8
En km², la superficie d’Eindhoven

225’000
Le nombre d’habitants de la ville

35’000
Le nombre d’étudiants

4
Le nombre de brevets accordés chaque jour à des entreprises de la région métropolitaine

24’688
Le nombre d’étrangers qui résident à Eindhoven

1963
L’année de sortie des premières cassettes audio (Philips)

1982
L’année de sortie des premiers CD (collaboration Philips-Sony)

9.9°C
La température annuelle moyenne
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 10).

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