CULTURE

Varsovie, ville vibrante

En plein foisonnement, la capitale polonaise voit ses zones industrielles se transformer en quartiers branchés.

C’est dans un splendide hôtel particulier blanc et ocre du centre de Varsovie, datant de la seconde moitié du XIXe, rarissime dans cette ville détruite à 84% lors de la Deuxième Guerre mondiale, que siège l’institut Adam Mickiewicz. Ce centre est chargé de faire rayonner la culture polonaise dans le monde entier. Un travail de promotion qui s’appuie toujours plus sur la scène montante du design. L’empreinte des jeunes créateurs est d’ailleurs visible dans de nombreux recoins de la capitale, de son centre baptisé Śródmieście, à ses périphéries que sont Żoliborz, Praga ou Mokotów.

Quand on passe la porte de l’institut culturel, la décoration des salles de réception donne le ton. Elles sont recouvertes d’affiches des années 1950 à nos jours. C’est que le graphisme occupe une place de choix dans le travail des designers polonais. Pour le prouver, Barbara Krzeska, directrice du département design de l’institution, tient dans ses mains un pavé de 450 pages sur ces créateurs de posters qui, comme Roman Cieslewicz, ont fait la renommée du pays au XXe siècle. «Cette tradition tient à notre histoire. Durant la période communiste, la création n’était pas libre. Les affiches étaient un moyen pour les artistes et designers de contourner la censure. Aujourd’hui encore, des créateurs polonais de posters sont employés par des marques internationales et sont très populaires à l’étranger.» Afin de comprendre l’importance du graphisme dans son pays, l’experte recommande de se rendre dans la banlieue varsovienne, à Wilanów, pour y visiter le Poster Museum.

Le design, un marché naissant

La sortie du petit palais débouche sur la vivante rue Mokotowska, épicentre de la partie chic et branchée du sud du centre-ville. Il héberge des boutiques de design, comme la bijouterie d’Anna Orska, ou la librairie de la Fondation Bęc Zmiana, ainsi que des restaurants à la mode tels que le Bibenda ou le Przegryź. «Il s’agit d’un quartier très tendance, explique Barbara Krzeska. Il suit la mode hipster, même s’il reste assez cher pour la Pologne.»

Dans un autre bel immeuble historique du quartier, se cache l’hôtel Autor Rooms. Vitrine du design de la capitale, l’ensemble de sa décoration — de la vaisselle aux luminaires — a été spécialement conçu par des studios varsoviens en vue. Parmi eux, figure l’équipe du Beza Projekt. Les fondatrices, Zofia Strumiłło-Sukiennik et Anna Łoskiewicz, ont remporté de nombreux prix, décernés notamment par Vitra lors du plus grand festival de design du pays situé à Łódź. Outre des aménagements et des objets d’intérieur sur mesure, comme des interrupteurs en ambre ou des patchs pour meubles, le duo imagine des espaces d’expositions et du mobilier urbain.

Dans leur atelier situé non loin de l’hôtel, dans la rue Hoża, les deux Varsoviennes de Beza Projekt font tout. Elles démarchent les clients, gèrent les commandes et créent, quand il leur reste un peu de temps. «Contrairement aux Pays-Bas ou à la Scandinavie, la Pologne n’a pas une longue histoire du design, explique Anna Łoskiewicz. Le marché est encore en train de prendre forme. Il existe d’excellents designers et ateliers de production (la Pologne est le quatrième producteur de meubles dans le monde, Ikea y sous-traite une partie de sa production depuis les années 1970, ndlr). Mais il manque encore de bons intermédiaires entre les studios de design et les grandes entreprises.»

Cafés pour travailleurs nomades

Changement de quartier. La zone résidentielle huppée de Żoliborz s’étend au nord, le long de la rivière Vistule. C’est même de ses rives qu’elle tire son nom issu du français «Joli bord». Installée au café Porananas, Agnieszka Jacobson-Cielecka observe l’évolution de sa ville. «Des lieux comme celui-ci, joliment décorés, qui servent des produits frais et locaux toute la journée et s’animent le soir, étaient difficiles à trouver il y a encore dix ans.» Aujourd’hui, la commissaire d’exposition n’a aucun mal à en citer plusieurs. Rien que dans le quartier, elle pense à Kawiarnia Fawory ou Jaskółka, qui signifie hirondelle en polonais. Comme dans toutes les grandes capitales européennes, ces lieux sont peuplés de jeunes travailleurs nomades, leur laptop sur les genoux.

Miroir de cette métamorphose de Varsovie, la scène du design ne cesse d’évoluer depuis le début des années 2000. Agnieszka Jacobson-Cielecka, qui organise depuis dix ans des expositions pour faire découvrir le travail des créateurs polonais au reste de l’Europe, l’atteste: «Les personnes de ma génération qui ont grandi dans l’ancien bloc communiste ont été marquées par cette expérience. Ils faisaient preuve d’inventivité pour transformer des matériaux simples et peu onéreux en quelque chose de beau et d’utile pour l’industrie. Les designers qui ont commencé à travailler dans les années 1990 étaient aussi tellement excités par les changements sociaux et la société en plein développement dans laquelle ils évoluaient qu’ils étaient 24 heures sur 24 dévoués à leur travail.» Certains ont disparu du paysage. D’autres se sont fait un nom, comme Oskar Zięta, Tomek Rygalik ou Bartosz Mucha. Les premiers objets iconiques du design polonais sont aussi apparus à l’international, comme le fauteuil en plastique de Roman Modzelewski.

«Aujourd’hui, les attentes des jeunes designers sont différentes», témoigne celle qui est aussi directrice artistique de la School of Form. Une école privée de design, ouverte il y a 5 ans à Poznań, qui entretient des liens étroits avec des partenaires industriels comme Skoda, Ikea, la banque allemande Raiffeisen ou le leader des revêtements de mobilier Schattdecor. «Les jeunes diplômés de l’école placent la barre plus haut, notamment concernant les matériaux utilisés. Ils entendent en faire leur métier et conclure des partenariats réussis avec l’industrie.» Même son de cloche chez Barbara Krzeska: «La jeune génération est formée par des professeurs polonais, à l’Académie des beaux-arts de Varsovie notamment, qui ont ramené leurs expériences et connaissances acquises à l’étranger. Ils suivent les tendances internationales: l’ancrage local des matériaux et de la fabrication, la connexion avec la nature et l’innovation.»

À l’assaut des usines de Praga

Et il a bien fallu conquérir de nouveaux territoires pour assouvir les envies de cette nouvelle génération. Pour cela, les Varsoviens ont traversé leur rivière, la Vistule, pour s’aventurer dans un quartier autrefois malfamé: Praga. Des usines désaffectées comme l’ancienne fabrique de vodka Konesser ou la zone industrielle de Soho y ont été réhabilitées. Cette dernière — où l’on produisait des armes, des instruments optiques, des motocycles — a été transformée en un quartier artistique, avec studios d’architecture, de design et galeries d’art. «Une université et le futur siège de la Philharmonie de Varsovie viendront compléter le nouveau visage de Praga, indique Agnieszka Jacobson-Cielecka. Toujours plus d’étudiants, d’artistes ou des habitants en quête de divertissement occuperont cette partie de la ville.»

À Soho, s’élève aussi un musée du néon, ouvert en 2005 par deux passionnés de la sauvegarde des tubes lumineux. Il compte plus de 500 écriteaux. Les Polonais ne reniant par leur amour pour l’art graphique, toutes les nouvelles enseignes branchées de la ville, de Śródmieście à Żoliborz, sont en néon. Varsovie garde ainsi un peu de son âme et ne ressemble pas tout à fait à une autre capitale européenne.
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CARNET PRATIQUE

Monnaie: złoty (1 zł.= 0,25 franc environ)
Comment s’y rendre: vols directs avec Swiss depuis Genève et Zurich
Depuis l’aéroport: trains et bus directs pour la gare située en centre-ville (acheter un ticket de 75 minutes aux automates: 4,40 zł.)
Taxi: de 1,50 à 2,40 zł./km
Transports publics: réseau ZTM très dense (3,40 zł. l’unité)
Repas au restaurant: dès 50 zł.
Chambre à l’hôtel: dès 250 zł.
Point Info tourisme: Palais de la Culture (bâtiment stalinien situé derrière la gare)
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Une version de cet article est parue dans le magazine FLAT (no 1).

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