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La nature, boîte à idées des industriels

Comment une salamandre a inspiré un robot, une protéine est devenue capteur et une molécule a amélioré la purification d’eau? Récit.

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L’adjectif «industriel» évoque des rouages, des tuyaux, de la fumée et du métal, voire des robots assemblant frénétiquement des produits. Rien de très naturel. Pourtant, les chercheurs et industriels s’inspirent de plus en plus de la nature pour concevoir de meilleurs matériaux, produits, bâtiments et procédés. Le nombre de brevets, articles de recherche et subventions en biomimétique a au moins quintuplé depuis 2000.

Le robot salamandre Pleurobot de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne est un parfait exemple de biomimétisme. Il marche et nage à la façon d’un amphibien avec un niveau de précision inégalé. «Ce robot a été conçu comme un outil pour les neurosciences», a précisé le directeur de projet Auke Ijspeert lors d’une conférence TED. Mais d’autres missions l’attendent: repérage et sauvetage, travaux de terrain et archéologie ou encore inspection industrielle.

Mystères de l’évolution

Les archétypes naturels que représentent les capacités amphibies de la salamandre, l’armure du hérisson ou le bec à nectar du colibri présentent des avantages évidents sur le plan de l’évolution. D’autres sont plus mystérieux, mais pourraient offrir d’énormes bénéfices à l’industrie. Ce sont ces modèles énigmatiques que le professeur Ulrich Gerland et son équipe de physiciens de la Technische Universität München ont cherché à valoriser dans le cadre d’un projet mené par un groupe de biologistes de l’Université Louis-et-Maximilien de Munich (LMU).

La recherche visait à comprendre le rôle d’une certaine protéine dans la bactérie Escherichia coli, dont la présence est commune dans les intestins des animaux à sang chaud, comme les humains. «Le groupe de la LMU disposait déjà de preuves que la protéine membranaire KdpD pouvait servir de double capteur pour le potassium, explique Ulrich Gerland. Mais à quoi pouvait bien servir un double capteur, alors qu’un seul aurait dû être suffisant?»

En effectuant des tests, il est peu à peu devenu évident que le double capteur était plus efficace lorsque la disponibilité et la demande en potassium de la bactérie fluctuaient en même temps. «C’est devenu logique tout à coup: le capteur externe est utile lorsque la concentration extérieure (l’offre) en potassium varie, tandis que le capteur interne est principalement avantageux lorsque la demande varie.» L’intérêt du double capteur est sa capacité à gérer ces deux variations simultanément.

Le double capteur KdpD est comparable au contrôle thermique sophistiqué des systèmes de chauffage modernes et autres dispositifs de régulation, à la différence qu’il fonctionne sans mémoire informatique ni puissance de traitement, ni câbles, ni électricité, et à l’échelle nano. «La façon dont KdpD combine les doubles capteurs et les doubles contrôleurs en une seule molécule de taille nanométrique est fascinante, s’enthousiasme Ulrich Gerland. C’est surtout en termes d’intégration et de miniaturisation de systèmes que l’ingénierie devrait apprendre de la biologie.»

De l’eau claire, jusque dans l’espace

La biomimétique est également employée dans le domaine de la purification de l’eau. L’eau est essentielle à l’industrie puisqu’elle se trouve au cœur des processus de chauffage, refroidissement, traitement, nettoyage et rinçage. Elle figure aussi parmi les composants essentiels de biens manufacturés comme les boissons et les produits pharmaceutiques. Mal traitée, elle peut devenir une source de problèmes: corrosion ou encrassement du matériel, baisse de la qualité des produits et même risques sanitaires. Toute technologie capable de purifier l’eau efficacement et à bas coût suscite par conséquent l’intérêt des industriels. C’est pourquoi Aquaporin, une startup danoise, attire l’attention.

L’entreprise, basée près de Copenhague, développe des membranes pour les purificateurs à usage domestique et le traitement des eaux usées industrielles. Le procédé s’inspire directement de ce que l’on peut observer dans la nature. «Les molécules que nous utilisons appartiennent à une catégorie spéciale de protéines normalement situées dans les membranes cellulaires et qui filtrent l’eau de manière très efficace», indique Claus Hélix-Nielsen, vice-président d’Aquaporin et professeur à la Danmarks Tekniske Universitet.

Aquaporin s’est penchée sur d’autres applications pour sa technologie, dont la production d’eau potable pour les près de 800 millions de personnes qui n’y ont pas accès dans le monde. La société a aussi travaillé avec la NASA et l’Agence spatiale européenne (ESA) pour améliorer la purification de l’eau à bord de la Station spatiale internationale (ISS). Avec son système, elle parvient à obtenir de l’eau propre à partir de l’urine, de la sueur, des eaux usées, de la condensation et d’autres sources liquides disponibles dans l’espace.

Récemment testée par le premier astronaute danois, la solution d’Aquaporin se targue d’être plus légère, rapide et résistante, mais aussi moins gourmande en électricité et meilleur marché que les appareils de filtrage existant sur l’ISS. Une version future du dispositif pourrait même être embarquée pour une expédition sur Mars.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 10).

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