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Sapiosexuel: une histoire de QI…

Encore méconnue et discrète, une minorité commence à apparaître sur les sites de rencontre: les sapiosexuels. Des athlètes des neurones se disant plus excités par l’intelligence de leur partenaire que par leur beauté. Reportage en immersion.

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L’éloquence d’un professeur a déjà fait craquer plus d’une étudiante. Réduite traditionnellement à une passion féminine et teintée de pouvoir, l’attirance pour l’intelligence sort désormais des cases du cliché. Sur divers sites de rencontre, des hommes et des femmes se revendiquent aujourd’hui «sapiosexuel(le)s», c’est-à-dire, littéralement, attirés par l’intelligence (sapiens en latin). Je suis parti à leur chasse pour comprendre ce qu’ils trouvent de si excitant aux neurones.

C’est sur cialis dosage safety qu’on les débusque le plus aisément. Le site de rencontre a ajouté il y a deux ans la catégorie «sapiosexuel» au chapitre des préférences sexuelles d’un profil, aux côtés d’autres définitions fines de l’orientation comme «pansexuel», «homoflexible» ou «questioning». Propriété du groupe Match, qui possède aussi doctor prescribed cialis et Meetic, la plateforme OkCupid s’est spécialisée dans une approche sociologique des rencontres.

J’y crée donc un profil sur lequel j’ajoute une photo où je prends un air intellectuel pour faire grimper ma cote d’amour chez les sapiosexuels. Je satisfais ensuite au rituel d’OkCupid qui consiste à répondre à une liste de questions rédigées par d’autres utilisateurs, pour cerner mes goûts, mes orientations et mes aspirations.

A partir de mes réponses, l’algorithme d’OkCupid calcule mon taux de compatibilité avec des partenaires potentiels, mais aussi ma variabilité par rapport à la moyenne des autres usagers — plus ou moins romantique, plus ou moins dominant, plus ou moins confiant, etc.

A l’inverse de Tinder, où les photos prévalent et où le geste ludique et hypnotique du swipe à gauche ou à droite fait tomber un profil dans les limbes numériques en un clin d’œil, le texte et le temps de la découverte sont quintessentiels sur OkCupid. Les usagers suisses restent relativement mesurés dans leurs épanchements, mais certains profils new-yorkais exigent une quinzaine de minutes de lecture — une éternité sur l’internet.

Cette profusion d’informations reproduit l’homogamie, c’est-à-dire la tendance à se rencontrer entre personnes du même milieu socioprofessionnel qui partagent des valeurs semblables.

Cette version slow et scientifique du dating répond particulièrement bien à la notion de sapiosexualité, même si la catégorie fait tache d’huile, jusque dans les descriptifs du très frivole Tinder, sur lequel rien ne distingue a priori un trader d’un poète.

Pour Marie-Hélène Stauffacher, psychologue et sexologue à Genève, l’épiphénomène sapiosexuel serait le signe de la «radicalisation» des relations amoureuses. «Je remarque l’émergence d’une catégorie de personnes en couple qui vont très bien, qui s’aiment, mais qui ne font plus l’amour, par désintérêt pour la chair, et qui viennent me voir peu avant 40 ans parce qu’ils n’ont plus le mode d’emploi pour faire des bébés.

D’autres sont dans une consommation sexuelle débridée. Entre les puritains et les libertins, une série de nouvelles nuances se développent. Beaucoup de gens ne se reconnaissent pas dans le déferlement de sexualité où le corps est terriblement mis en avant. Ils cherchent en eux ce qui leur semble véritablement important.»

Sur l’internet, des voix critiques opposent que la sapiosexualité n’est pas une «orientation sexuelle», contrairement à ce qu’OkCupid laisse entendre, mais un terme aussi inutile que métrosexuel, doublé d’une formule prétentieuse dont la génération Y se drape pour exclure ceux qui n’ont pas lu l’intégrale de Peter Sloterdijk.

Parant la critique d’élitisme, ma première rencontre sapiosexuelle sur OkCupid apparaît en la personne de Jérémie, un Toulousain de 25 ans, installé depuis peu à Lausanne. Il me précise que sa vision de l’intelligence dépasse la seule culture scientifique et littéraire. «On peut trouver l’autre attirant quand il jardine ou quand il bricole. Tout savoir-faire peut être sexy.»

«Le lien n’est pas mécanique»

Je recense huit profils qui se revendiquent comme sapiosexuel (le)s dans un rayon de 100 km autour de Lausanne. Cinq femmes et trois hommes, qui ont coché d’autres cases, comme «pansexuel» ou «polyamoureux». Un aperçu qui laisse deviner que les pionniers de la sapiosexualité appartiennent à l’avant-garde libertaire des relations amoureuses. Je leur écris mon intérêt en précisant bien sûr qu’il s’agit d’une enquête journalistique. Le taux de réponse féminine se résume à zéro. Celui des hommes à deux tiers.

Partial et partiel, l’échantillon de cette enquête ne permet donc pas de déterminer pleinement à quoi pensent les sapiosexuel (le)s romand(e)s. Mais il nous apprend que les complicités intellectuelles suscitent le désir, sans que celui-ci doive nécessairement être satisfait, que les hommes sapiosexuels utilisent parfois cette caractéristique pour vaincre les réticences des femmes à échanger des messages, et que ces dernières ne se laissent effectivement pas facilement approcher sur les sites de rencontre.

Tamara, sexothérapeute à Lausanne, s’avoue surprise par ces résultats: «J’ai le sentiment que les hommes sont en général des visuels, et que les femmes sont attirées par des paramètres plus larges.» Dans sa vie privée, elle se dit séduite par l’intelligence émotionnelle, qu’elle rencontre plus aisément chez des personnes au QI élevé. «Le lien n’est pas mécanique. Un titulaire de doctorat, qui est capable de parler de son sujet de manière très spécialisée, ne possède pas forcément la maturité émotionnelle que je recherche. Néanmoins, la probabilité de trouver mon bonheur me semble plus élevée chez les intellectuels, car ces personnes ont les ressources neuronales qui leur permettent de se comprendre.» Ou quand le cerveau irrigue le cœur.

Jules* tient à son anonymat. On ne saura donc que peu de choses de lui si ce n’est qu’il entame la cinquantaine, qu’il est marié, a deux enfants et vit dans le canton de Neuchâtel. Jules a découvert le terme sapiosexuel sur le profil d’une jeune femme bernoise. «Cette expression m’a interpellé. J’ai lu d’autres qualificatifs dans son profil comme celui de polyamour. Nous avons échangé. Elle m’a éclairé sur ma manière d’envisager les choses.» Il s’est approprié le terme et l’emploie pour indiquer l’estime qu’il porte à l’intelligence.

Jules passe de bons moments avec ses partenaires de sport, tous de formation supérieure. «J’adore parler de sujets spécialisés avec eux, d’oncologie avec un médecin, de chimie, de politique énergétique…» Il s’ennuie en revanche avec ses anciens amis, aux sujets de conversation trop futiles, évite ces soirées rasoir quand il le peut et dit vouloir «optimiser [son] temps relationnel».

Jules applique la même logique à ses relations féminines. Une beauté sans formation supérieure ne l’attire pas. L’inverse n’est pas vrai pour autant. «Je suis de nature exigeante avec moi-même, donc j’attends des autres qu’ils aient la même discipline.» Mais il admet aussi que se définir comme sapiosexuel participe également d’une technique d’approche. «Sur les sites de rencontre, les femmes se protègent, car elles sont extrêmement sollicitées.

Dans ma tranche d’âge, elles sont souvent divorcées et cherchent à se recaser. De plus, mon profil clairement non monogame fait fuir. Il faut trouver un moyen d’attirer leur attention afin d’entamer la discussion et provoquer une rencontre.» Dit plus clairement, la sapiosexualité, avec son mélange de finesse — je ne cherche pas que du sexe — d’originalité pratique pour amorcer une discussion et d’élitisme — j’aime l’intelligence parce que, oui, moi aussi je suis un intellectuel — est un excellent argument marketing.

«Sur l’orientation sexuelle, je pourrais bien me dire bi-curieux, mais j’ai conscience que ce n’est pas une définition très appréciée dans les milieux militants, car considérée comme un peu facile, pas très engagée. A l’image des végi-flexibles, les hétéros qui ont une aventure un peu sensible avec un homme font beaucoup de bruit pour pas grand-chose.» Voilà qui pose un cadre. Jérémie est un doctorant en sociologie de Toulouse, qui a obtenu il y a quelques mois un poste d’assistant à l’Université de Lausanne.

Ses recherches portent sur les formes d’exhibitionnisme en ligne, à travers l’exemple du porno amateur. Il milite aussi en faveur du polyamour, organisant ou participant notamment à des rencontres citoyennes autour de questions de sexualité. Cet observateur avisé et conscient de ses actes et paroles sur les sites de rencontre en est aussi un utilisateur fréquent.

Jérémie et les désirs suspendus

Fait rare, sur OkCupid où nous l’avons rencontré, il se décrit uniquement comme sapiosexuel. Il n’y attache aucune notion de fierté ou d’identité pour autant. Il aurait même tendance à reléguer cette catégorie dans les «styles» sexuels plutôt que les orientations qui seraient des marqueurs plus forts. «Si je peux me dire sapiosexuel, c’est avant tout un choix stratégique, parce qu’il correspond à mon mode d’approche et à mon utilisation un peu molle du site. Cela me permet de dire que je ne recherche pas de conjugalité et/ou du sexuel à tout prix.

Dans un rapport hétérosexuel, du point de vue du garçon, c’est également un terme qui rassure, parce qu’il indique qu’on n’est pas là pour séduire coûte que coûte. En ce moment, je cherche plutôt des relations qui dérivent de l’amitié, de la bonne entente, plutôt que passer un temps fou à séduire. Mes expériences sur Adopteunmec et Tinder m’ont lassé. Ce sont des marchés assez saturés et on passe beaucoup de temps à trouver la bonne accroche et à multiplier les requêtes, voir à qui l’on a déjà envoyé un message ou pas encore.»

Dans ses rapports avec les femmes, Jérémie cherche à décloisonner les notions d’amis, d’amoureux et d’amant. «J’ai une amoureuse depuis sept ans. Notre relation a commencé de manière très charnelle, ce qui ne l’empêche pas de très bien fonctionner aujourd’hui. Ma sapiosexualité s’exprime dans ma tentative d’entretenir des relations stimulantes. Et sans qu’on soit obligé de dire s’il s’agit là de prémices à une future conjugalité, si ça va devenir des plans cul ou si ça restera des amitiés.

J’ai ce type de relation avec des filles que j’ai pu rencontrer dans des milieux universitaires et militants, parfois sur des sites de rencontre, mais moins souvent. Depuis que j’ai déménagé, ce sont des relations qui survivent très bien à la distance, par Facebook notamment.» Des échanges intellectuels et affectifs, à travers lesquels Jérémie développe une complicité et où, dit-il, le désir est assumé, mais sans être consommé.

Cette attirance érotique pour les athlètes des neurones n’a donc pas attendu la naissance du web pour exister, mais dans la segmentation toujours plus forte de la sexualité sur l’internet, les sapiosexuels se sont finalement trouvé un nom. Reste à dénicher le partenaire.

*prénom d’emprunt
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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo.