Depuis bientôt dix ans, l’équipe de James Kaliardos réunit dans son «bookazine» les couturiers et les créateurs les plus convoités. Les industriels du luxe se prosternent devant Visionaire.
La rédaction de Visionaire est d’un blanc clinique. Elle se cache derrière d’immenses paravents qui la séparent de la galerie d’art. Aucun des employés ne sourit. Avant de parler, on vous propose une tasse de café, histoire de vous réconforter. De quoi? De ne pas faire partie de la revue la plus sélect de cette décennie.
De la Net economy, Visionaire a emprunté l’organisation en réseaux. Cliquez dans n’importe quel répertoire de la jet set artistique et vous tomberez sur l’un des pigistes de cette revue de luxe et d’images. David Bowie, Nan Goldin, Tom Ford, Inez van Lamsweerde… A ce rythme-là, ce n’est même plus du name dropping. La liste des collaborateurs des 32 numéros de ce trimestriel est un annuaire des personnes les plus convoitées de la planète.
L’entreprise Visionaire dure depuis bientôt dix ans et pourtant, elle reste en dehors de tout ce que l’on connaît. Il a fallu inventer un mot pour la définir. «Bookazine». C’est l’expression que préfère James Kaliardos, l’un des trois fondateurs. Chaque édition se présente comme un livre. Mais un ouvrage de collection, à garder dans sa bibliothèque. Le numéro 18, par exemple, était emballé dans un sac à main au monogramme Louis Vuitton.
Light, le célébrissime numéro 24, griffé Tom Ford, était un coffret de lumière qui s’ouvrait comme une boîte d’allumettes. Plus pauvre, le 33 a un jean Levi’s pour étui. Le prix de Visionaire varie, comme le tirage: quelques milliers d’exemplaires pour une centaine de dollars pièce. Mais certains numéros sont montés à 450 $ et certaines collections ont atteint plusieurs milliers de dollars en vente aux enchères.
Cecilia Dean et Stephen Gan sont, avec James Kaliardos, les trois yeux de Visionaire. Ensemble, ils couvrent tout le terrain du hype et du glam. Dean a été mannequin. Gan est graphiste. Il a été directeur artistique du magazine Detail. Il a rencontré Kaliardos, maquilleur de formation, à la Parson’s School de New York. Les trois ont lancé Visionaire dans une ancienne écurie de Soho qui servait à certains de maison.
Depuis, ils ont déménagé dans l’ancien musée d’holographie de Manhattan. Une rédaction qui leur sert de galerie où ils exposent leurs amis. Car les contributeurs de Visionaire acceptent de travailler par amitié pour le trio. Et gratuitement, promet James Kaliardos. Recevoir la précieuse revue serait un salaire suffisant.
Le génie de Visionaire, celui de ses fondateurs, est d’avoir su, au début des années 90, que le luxe n’allait pas disparaître avec le siècle. Bien au contraire. Le millénarisme a été l’occasion rêvée, pour toutes les victimes de la mode, de se retrouver au salon. Et de parler. Sans rire. Car à part dans les soirées qu’ils organisent pour la sortie de leurs nouveaux numéros, et ces fêtes sont légendaires avant même qu’elles aient eu lieu, Dean, Gan et Kaliardos ne sourient que rarement. La hype est quelque chose de sérieux.
