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Bataille de bigots et d’hérétiques autour de la déesse voiture

La votation sur le fonds pour les routes nationales (FORTA) est facile à caricaturer: pour ou contre la bagnole. Comme on dirait: pour ou contre la guerre.

Certains trouvent que Dieu n’a rien à faire dans la Constitution. Pour la voiture en revanche, la question ne se pose même plus. Si nous votons sur le FORTA en effet, c’est que la Confédération souhaite y inscrire ce «fonds pour les routes nationales et le trafic d’agglomération». Histoire de remplacer le FSCR, «financement spécial pour la circulation routière», largement à bout de souffle.

En reprenant les mêmes sources de financement: vignette autoroutière et surtaxe sur les huiles minérales — augmentée de quatre centimes au passage. Mais aussi en s’abreuvant à de nouvelles et grasses mamelles, comme l’impôt sur les véhicules à moteur et 10% de l’impôt sur les carburants, ainsi que la totalité de la nouvelle redevance sur les véhicules électriques. Plus une compensation versée par les cantons dont les routes deviendraient nationales.

Que la voiture soit un objet hautement idéologique, personne n’en doute et cette votation le prouve à nouveau. FORTA ainsi n’est pas en odeur de sainteté à gauche, où l’idole à plusieurs têtes se nommerait plutôt Transports publics. Écologistes et socialistes dénoncent une «razzia sur la caisse fédérale», un détournement du budget et des deniers publics au profit de l’épouvantable déesse bagnole. Quelque 650 millions seraient ainsi ponctionnés.

La présidente de l’ATE, «Association transport et environnement», parle carrément de «pillages», tout juste bons à «financer des projets routiers insensés qui défigureraient notre pays». Le PS et les Verts font valoir que FORTA encouragerait le bétonnage du paysage, rendrait la route plus attractive, et donc contribuerait à augmenter encore le trafic, ainsi que les nuisances climatiques qui vont avec.

A droite, au contraire, rien n’est jamais assez beau pour la voiture, symbole de nos riantes libertés individuelles. On y considère donc FORTA tout autrement. On n’hésite pas, pour faire passer la pilule parfois indigeste du tout asphalte, à user d’arguments qui sentent bon la solidarité envers les plus faibles.

Pour le conseiller d’État neuchâtelois Laurent Favre par exemple, FORTA aurait l’avantage «d’assurer à long terme la desserte des régions de montagne par la route». Quant au Conseil fédéral et au Parlement, qui le soutient dans sa majorité, le nouveau fonds offrirait une source de financement durable à la route. Une manne d’autant bienvenue que l’augmentation du trafic rend inévitable de nombreux aménagements, si l’on entend faire sauter les goulets d’étranglement.

On voit donc bien que les positions sont parfaitement irréconciliables. La voiture, on est pour ou on est contre. Vile bannière de l’égoïsme capitaliste d’un côté, fier emblème de la créativité personnelle de l’autre.

Pour l’écologiste Lisa Mazzone, ainsi, FORTA en asséchant la caisse fédérale «pénalisera la formation, les transports collectifs, la coopération au développement» et bien d’autres très belles choses. Alors que pour le radical Olivier Français, il faut être un bobo obtus des villes pour ne pas comprendre que «la voiture est un outil social indispensable» et que refuser FORTA équivaudrait à «créer le chaos dans les agglomérations».

Chacun dans ce débat s’appuie sur un futur fort différent et bien à lui, conforme à ses propres vœux. Ce qui donne à gauche: «De moins en moins de jeunes ont le permis de conduire et de plus en plus de ménages se passent de voiture.» Alors qu’à droite la boule de cristal tient un tout autre langage: «La demande en mobilité ne cessera d’augmenter, tout le monde ne s’installera pas en ville.»

Un dialogue de sourds et deux visions du monde, que Churchill déjà avait résumé à son inimitable et légèrement partiale manière: «Sous le capitalisme, les gens ont davantage de voitures. Sous le communisme, ils ont davantage de parkings.»