CULTURE

Les bons contes font les bons «Harry»

Après «Dirty Harry», «Deconstructing Harry», «When Harry met Sally» et «The Trouble With Harry», voici «Harry, un ami qui vous veut du bien», un bon film français sur l’enfer domestique.

Le nouveau film de Dominik Moll, «Harry, un ami qui vous veut du bien», décline toutes les figures de l’enfermement. Mais l’enferment le plus banal, qui se confine à quelques lieux-clés: la vieille maison à la campagne en forme de parallélépipède, la salle de bain offerte en cadeau par des parents envahissants et surtout les intérieurs de voitures dans lesquels un bon tiers du film se déroule.

Paul est un de ces forçats de la vie quotidienne, gentil père de famille qui se retrouve coincé par toutes ses concessions et ne s’en plaint pas. Mais voilà que déboule dans sa vie un copain de lycée, Harold – Harry pour les intimes – qui veut tellement de bien à Paul qu’il entreprend de le «délivrer» sans lui demander son avis.

Il est gentil, Harry. Il n’est pas comme ces inconnus à l’œil brillant qui font leur irruption dans les films à suspens comme des oiseaux de mauvais augure. D’ailleurs, jusqu’à la fin, il n’est agité que par la plus parfaite amitié et la plus parfaite admiration pour Paul. Pourtant Harry est un tueur.

Tous les personnages de ce film possèdent son ambivalence: ils sont foncièrement gentils. Et monstrueux en même temps. Les gamines évidemment, parce qu’un enfant, c’est adorable, mais ça peut finir par être franchement odieux. Les parents de Paul sans conteste, qui adorent leur fils au point d’en devenir étouffants. Claire, sa femme, qui a le don de poser les questions qui font mal, juste avec la candeur qui agace. Et Harry, avec sa copine Prune, prototype du couple qui ne pense qu’à bien faire. Et qui sait que «chaque problème à sa solution», fût-elle sanglante.

Cultivant l’oppression sous la routine, l’horreur sous la gentillesse, l’angoisse sous la banalité, le deuxième long métrage de Dominik Moll a tout du film français moyen. Avec ce qu’il faut de musique et d’atmosphère, de cadrages sages (mais toujours signifiants), de dialogues d’une simplicité désarmante, qui touchent juste parce qu’ils sont bien mis en scène.

Les acteurs aussi sont parfaits de naturel et de neutralité: les filles tiennent leur rôle avec sobriété (Mathilde Seigner, formidable, et Sophie Guillemin qui, après «L’Ennui», confirme sa belle présence simplement charnelle à l’écran), le Paul de Laurent Lucas est idéalement intériorisé et normal tandis que le Harry débonnaire et flanqué d’un accent espagnol de Sergi Lopez mérite une mention spéciale.

Bref, le bon film hexagonal sans problème. A ceci près que le réalisateur s’est piqué d’y introduire un malaise lancinant, effleurant au passage quelques références diaphanes comme l’escalier et la maison de «Psycho», références soulignée par la musique…

Et le tout, avec ses dix acteurs, dans des décors réduits, pour un budget sans doute dérisoire, finit par faire réellement frissonner. Un «Projet Blair Witch» à la française ? En plus approfondi alors, et plus retors. Parce que le film se termine par une sorte de happy end. Et qu’en filigrane, tout le scénario tourne autour d’une vocation artistique que Paul aurait refoulée et qui fait sa réapparition pendant le film, sans qu’on sache vraiment s’il possède l’envergure d’un bon écrivain.

A le voir dans le dernier plan, on sait au moins une chose: s’il est toujours dans une voiture, il se sent manifestement plus libre qu’au début du film. Et c’est sans doute cela que raconte «Harry, un ami qui vous veut du bien»: une illusoire conquête de la liberté…

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A consulter aussi: le site officiel du film.