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La famille est une mutante. Le vocabulaire s’adapte

Vous avez remarqué? Le mot «famille» ne veut plus dire grand chose, à moins d’y ajouter un qualificatif qui en précise la structure. Les familles contemporaines se déclinent en une large palette: famille traditionnelle (on en trouve encore), nucléaire, monoparentale, biparentale, élargie, éclatée, recomposée, homoparentale, adoptive et j’en oublie.

Le vocabulaire ne suffit plus à décrire les diverses formes familiales. Au centre de ces mutations, on trouve naturellement les notions de parent et de filiation. Les manières de «fabriquer» des parents ont toujours différé selon les époques et les régions du monde. Certaines frontières que nos sociétés jugent infranchissables ne le sont pas pour d’autres: songeons à celles qui séparent les âges, les sexes ou même les vivants et les morts.

De tout temps, l’articulation entre lien de sang et lien social a été problématique. Une nouveauté cependant: à côté des filiations naturelle et légitime existe maintenant une filiation de troisième type, à la fois biologique et artificielle. Or aucune existence juridique n’est reconnue au donneur de gamètes dans le cas de la procréation médicalement assistée (PMA).

La procréation médicalement assistée et les demandes de reconnaissance de l’homoparentalité bousculent le modèle culturel de reproduction qui voudrait que chaque individu soit issu de deux autres individus d’une génération ascendante et de sexe différent, qui l’auraient en principe conjointement engendré, ses père et mère.

Comme toute construction sociale, la filiation est flexible. La France a ainsi réajusté le rapport du droit et des mœurs en adoptant le Pacte civil de solidarité (PACS).

En Suisse, la famille qui a longtemps été associée aux valeurs de droite, est en train de passer à gauche. «Aider les familles au lieu de faire des cadeaux à ceux qui n’en ont pas besoin», titrait dernièrement l’Evénement syndical à propos du projet Villiger d’allégement de l’impôt fédéral direct (lire à ce sujet la revue Domaine public du 18 août 2000).

Ces grands chambardements de la famille se répercutent donc dans le vocabulaire. Les lexicographes sont submergés de sollicitations: «Depuis 1997, nous assistons à une véritable explosion. La famille recomposée est le secteur le plus créateur de vocabulaire ces dernières années», constate Hélène Houssemaine-Florent, chargée de la «veille néologique» chez Larousse (Le Monde du 4 août 2000).

La langue prend acte des changements en cours. La famille patchwork invente des mots pour se dire.

En voici quelques exemples. Dans l’univers de la pluriparentalité, le quasi-frère et la quasi-sœur désignent les enfants du nouveau conjoint de votre père ou de votre mère, avec lesquels vous n’avez aucun lien de sang. Beaux-parents se met au singulier – beau-parent – pour signifier celui ou celle qui vit avec votre mère ou votre père, qui partage le quotidien et assume la coparentalité, autre néologisme.

Le coparent parle alors de ses beaux-enfants, voire de son bel-enfant. Des termes nouveaux désignent les mères et les pères élevant seuls leurs enfants: le monoparent, la monoparentalité et la mère célibataire qui s’est substituée à la fille-mère. On délaisse le célibat et le célibataire pour la vie en solo et le soliste. Enfin, le Pacs a engendré les dérivés pacsé, pacsisation, homoparental et homoparent.

Et l’engouement pour la généalogie? Ne traduit-il pas un désarroi face à une filiation de plus en plus précarisée? On ne se cherche pas tant un oncle d’Amérique ou du sang bleu qu’un ancrage dans une lignée. Pour soigner son identité mise à mal, rien ne vaut la construction de son arbre généalogique.

Avec le logiciel Elie, rien n’est plus facile. Il permet de répertorier les situations familiales les plus complexes (remariages, concubinages, familles monoparentales ou recomposées).

Mais attention, les vrais chambardements sont à venir. Spécialiste des mutations familiales, Geneviève Delaisi de Parseval le craint: «La dérive à redouter, ce n’est pas l’homoparentalité, mais ce pourrait être le clonage. L’enfant ainsi créé ne ferait plus partie, pour la première fois, de cette fameuse triangulation: un homme, une femme, un enfant – schéma qui existe dans tous les cas de figures parentales, y compris chez les parents homosexuels», écrit-elle dans «L’enfant de personne», publié aux éditions Odile Jacob.