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Fort de Cassis

Affirmer que la succession de Didier Burkhalter au Conseil fédéral est «pliée» ne paraît pas digne de la meilleure démocratie du monde. Ni des enjeux à venir.

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C’est entendu, avec la démocratie suisse, on tient le nec plus ultra de tous les systèmes politiques. N’empêche: à peine un poste de conseiller fédéral est-il à repourvoir, que, paf, on nous donne sans débat, consultation, examen ni rien le nom du successeur de Didier Burkhalter. Ce sera le Tessinois Ignazio Cassis, personne d’autre, silence dans les travées.

Attention, cet homme n’est pas, comme on pourrait s’en plaindre ailleurs, le candidat du système. Non, Ignazio Cassis est mieux que ça: rien moins que le candidat des astres. Qu’invoque-t-on d’abord en effet pour expliquer que le prochain ministre s’appellera forcément Cassis? Qu’il y aurait «un alignement de planètes».

Tant pis si les planètes en question se résument au seul petit astéroïde baptisé Tessin. Cela fait 18 ans que nos amis italophones n’ont plus de représentant au Conseil fédéral. Et personne ne s’en était réellement aperçu. Surtout que le dernier en date s’appelait Flavio Cotti, dont le départ avait provoqué un soulagement général.

Les Tessinois, bien sûr, ont raison de se plaindre de cette injustice. A la manière du conseiller national radical Marco Romano: «Les jeunes de ma génération n’ont jamais vu de conseiller fédéral parlant leur langue maternelle. Comment voulez-vous qu’ils se reconnaissent dans cette institution?» On imagine en effet le degré de souffrance, on compatit volontiers, mais cela n’oblige personne — et surtout pas les Chambres — à élire automatiquement Ignazio Cassis.

D’autant que cet argument voulant qu’un conseiller fédéral tessinois favoriserait le sentiment d’appartenance dans un canton volontiers isolationniste a été balayé par… un Tessinois. Le PDC Filippo Lombardi a rappelé à juste titre que «la Lega est née alors que Flavio Cotti était au Conseil fédéral».

S’il faut insister sur l’argument ethnique, on pourrait faire valoir qu’à l’aune de leur population, les Alémaniques seraient en droit de revendiquer cinq sièges, eux qui ont eu l’élégance de laisser les Latins se battre entre eux pour le septième strapontin. Un PLR romand le martèle pourtant dans les colonnes du Matin Dimanche: «Ce sera Cassis, c’est plié.»

Quant aux voix, rares, qui s’insurgent contre cette automaticité, elles s’avèrent malheureusement un peu suspectes. Le Genevois Manuel Tornare a bien sûr raison de dire que l’argument ethnique ne doit «pas nécessairement primer». Qu’il il faut d’abord «élire quelqu’un qui soit capable de résoudre les problèmes que la Suisse doit affronter, comme ses relations avec l’Union européenne ou les réformes sociales». Sauf que, on l’a dit, Tornare est Genevois et l’on pourrait soupçonner derrière ces belles paroles une autre tentation ethnique: celle de pousser la candidature du conseiller d’Etat Pierre Maudet.

Au douteux argument ethnique, on peut en opposer d’autres, de même acabit. Comme celui du genre. Cinq hommes, deux femmes, voilà qui est loin d’être équilibré et l’on pourrait se demander comment, à ce tarif, les femmes pourraient se sentir représentées, etc., etc.

Les femmes radicales viennent d’ailleurs de s’apercevoir qu’elles n’ont plus eu de représentantes au Conseil fédéral depuis Elisabeth Kopp, ce qui n’est pas forcément une référence prometteuse. On découvre aussi qu’une Tessinoise radicale a le profil, Laura Sadis, ancienne conseillère nationale et ancienne conseillère d’Etat. Pas de quoi ébranler le consensus fortifié, les radicaux tessinois faisant déjà valoir que la dame serait «fade» et aurait de toute façon moins de chance que le sieur Cassis devant l’Assemblée fédérale.

La cause féminine semble tellement désespérée qu’on en est à évoquer des candidatures romandes, genre Jacqueline de Quattro ou même Isabelle Moret.

Autant, à ce compte, invoquer contre Cassis une autre anomalie: avec lui, ce serait une étrange majorité qui siégerait au Conseil fédéral pour la première fois, comme l’a insidieusement remarqué la RTS. Quatre conseillers fédéraux auraient en effet alors la particularité d’être sans enfant. La garantie d’une certaine stérilité.