TECHNOPHILE

Le bruit meurtrier des zones urbaines

Les villes européennes souffrent de la pollution sonore. Des technologies innovantes permettent de réduire les nuisances dues aux décibels.

Le bruit ambiant cause de nombreux problèmes de santé, allant du stress aux pathologies cardiaques. A l’heure où trois Européens sur quatre vivent dans des villes ou leur périphérie, des centaines de millions de personnes sont concernées. Ines Lopez Arteaga, chercheuse en ingénierie mécanique à l’Eindhoven University of Technology, fait le point sur les nouvelles solutions.

D’où vient le bruit dans les zones urbaines?
Il est principalement provoqué par les transports et les sites industriels. En ville, c’est la circulation routière qui génère le plus de bruit, suivie du trafic ferroviaire et aérien. Viennent ensuite les travaux et le tapage des voisins, qui sont plus agaçants que problématiques.

Pourquoi le bruit ambiant nuit-il à la santé?
En plus d’être pénible, le bruit des transports augmente le risque d’hypertension, de maladies cardiaques ischémiques, d’acouphènes, de déficience cognitive chez l’enfant et de troubles du sommeil. Des études montrent qu’au-delà de 65 décibels (ce qui correspond à une circulation dense à une distance de 50 ou 100 m), le bruit augmente le risque d’AVC de 20 à 40%. A ces niveaux, le risque de maladie cardiaque est 20% plus élevé que dans les zones résidentielles plus calmes. A titre de comparaison, une conversation normale oscille autour de 60 décibels.

Les calculs de l’OMS montrent que plus d’un million d’années de bonne santé sont perdues tous les ans en raison du bruit de la circulation en Europe de l’Ouest. L’exposition prolongée au bruit ambiant est, après la pollution de l’air, le principal facteur affectant la santé, la qualité de vie et, indirectement, l’espérance de vie de millions d’Européens.

Que faire pour y remédier?
Il faut d’abord limiter les nuisances de la circulation, puis agir pour minimiser le niveau sonore dans les zones affectées. Pour faire une réelle différence, il convient de combiner des mesures visant l’origine du bruit et des mesures pour atténuer sa transmission aux personnes affectées. Les doubles vitrages et les murs antibruit que l’on voit souvent le long des autoroutes constituent de bons exemples.

Pour avoir une influence à la source, on utilise par exemple le bitume poreux à double couche (ou bitume silencieux), qui étouffe et absorbe le bruit causé par la friction du pneu sur la route. Cette solution est déjà mise en œuvre dans de nombreuses villes comme Paris, Amsterdam ou Madrid. Dans le transport ferroviaire, on utilise des amortisseurs de vibrations sur les roues et les rails. La Haye et Anvers emploient ce type de système élastique intégré aux rails de leur réseau de tramway. Des études montrent que ces composants, associés au bitume silencieux, offrent une réduction significative de 2 à 5 décibels.

Quelles solutions pour l’avenir?
Le bitume caoutchouté et les toits verts constituent deux pistes intéressantes. Différent du bitume silencieux, le bitume caoutchouté contient des matières élastiques qui lient le gravier, pour une surface plus flexible qu’avec des matériaux classiques. Le Japon et les Etats-Unis l’utilisent déjà. En Europe, les premiers tests sont encourageants, notamment sur le périphérique de Bruxelles.

Les toits verts sont composés de matériaux organiques permettant à la végétation de se développer, ce qui absorbe le bruit ambiant des zones urbaines, limite le volume sonore et pourrait considérablement réduire les nuisances dues à la circulation. Ce principe n’a pas encore été appliqué à la réduction du bruit, mais je pense qu’il est prometteur.

Qu’en est-il des véhicules électriques?
Leur contribution est limitée: leurs moteurs silencieux permettent de réduire le bruit en centre-ville où les vitesses sont très basses, mais pas en périphérie des agglomérations. Au-delà de 50 km/h, ce sont plutôt les roues qui génèrent du bruit. Et au-dessus de 130 km/h, c’est l’aérodynamique.

Pourquoi vous êtes-vous spécialisée dans le bruit ambiant?
Dans le cadre de ma thèse sur le bruit ferroviaire, j’ai développé des solutions visant à réduire le bruit des roues. Ces recherches ont ensuite été étendues aux pneus des voitures. Je voulais aider les constructeurs à optimiser leurs produits. Mais dans les deux cas, j’ai rapidement réalisé la nécessité de travailler sur les surfaces pour parvenir à réduire les nuisances sonores de manière significative. J’ai commencé par me rapprocher des responsables des infrastructures et des intervenants gouvernementaux, pour ensuite me concentrer sur le bruit ambiant à l’échelle globale.
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ENCADRES

Toits verts et routes caoutchoutées pour lutter contre le bruit

Trafic routier
Intensité: 70-90 dB
Solution: L’asphalte silencieux. Utilisé pour les routes, l’asphalte a une surface lisse qui réfléchit les bruits. L’asphalte silencieux est, lui, poreux et absorbe ainsi les nuisances. Paris, Amsterdam, Madrid ou encore Genève y ont recours.
Réduction: 3-4%

Trafic ferroviaire
Intensité: 85 dB
Solution: Les amortisseurs. Fixés sur les roues et le long des rails, ils permettent de diminuer le frottement et réduisent ainsi le bruit. Ils sont notamment utilisés sur les réseaux de tram à La Haye et à Anvers.
Réduction: 2.4-6.3%

Trafic aérien
Intensité: 120-140 dB
Solution: Des toits verts installés sur des immeubles à côté d’un aéroport — comme à Francfort en Allemagne — peuvent réduire le bruit de 10 dB.
Réduction: 8%

Chantier
Intensité: 90-110 dB
Solution: La fenêtre magique. Développée par la firme française Technal, cette fenêtre parvient à générer des ondes qui capturent les sons, même si elle est ouverte. L’innovation sera commercialisée en 2017.
Réduction: 22-28%
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Le bruit sous surveillance

Dans le cadre du projet européen «NoisePlanet», des chercheurs français ont développé «NoiseCapture», une application mobile, capable de géolocaliser les nuisances sonores. Il suffit de télécharger gratuitement l’application — seulement disponible sur Android — et d’enregistrer les bruits que l’on rencontre au quotidien. Toutes les données récoltées permettent ensuite d’établir une cartographie interactive des nuisances sonores tout autour du globe.
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Une version de cet article est parue dans le magazine Technologist (no 12).

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