TECHNOPHILE

Le tourisme en version scénarisée et interactive

Plus-value ludique et didactique, les nouvelles technologies plongent le visiteur dans une dimension où réel et virtuel se côtoient. Panorama d’innovations pour le touriste 2.0.

Revoir les trésors archéologiques disparus de Palmyre ou visualiser ce que pouvait être un site antique a l’époque de sa grandeur: la réalité augmentée le permet en substituant le virtuel au réel à l’aide de lunettes high-tech.

Le visiteur 2.0 plonge dans la Pompéi d’avant l’éruption du Vésuve, ou entre dans la profondeur de champ d’un tableau de maître. Immersion dans un virtuel rendu tangible, la réalité augmentée donne accès à un univers narratif nouveau: en 360°, elle fait revivre un monde qui n’est plus et enrichit celui qui reste. Ailleurs, elle donne accès à l’inaccessible, comme dans Clouds Over Sidra (Nuages au-dessus de Sidra), le documentaire en réalité virtuelle lancé par les Nations Unies pour évoquer la crise humanitaire en Syrie.

Balades innovantes

Professeur en informatique et gestion à la Haute école de gestion Arc — HEG Arc, membre de l’Institut de management et des systèmes d’information (IMSI), Francesco Termine a parfois été gêné par l’archaïsme des audioguides lorsqu’il visitait un site ou un musée. L’ennui provoqué par des voix monocordes décrivant des objets ou des sites de toute beauté l’a incité à travailler sur les possibilités d’intégrer les nouvelles technologies de l’information aux visites touristiques et culturelles. «En 2014, les cantons de l’Arc jurassien souhaitaient développer et enrichir leur offre touristique. Pour mettre en valeur leur patrimoine de manière ludique et innovante, nous leur avons proposé de créer des visites interactives et scénarisées.»

En 2015 naissait le projet entrepreneurial Mobile Tour Information System qui commercialise aujourd’hui l’application StoriaBox. Développée à l’IMSI, cette «boîte à histoire» mêle plusieurs nouvelles technologies. «Nous utilisons la réalité augmentée pour mettre en récit une visite en y intégrant des personnages. Pour rendre la chose plus ludique, nous transposons aussi des mécanismes de l’univers des jeux vidéo vers le domaine du tourisme.» Sur plusieurs sites touristiques de l’Arc jurassien, via l’application StoriaBox, le visiteur peut pointer un endroit ou un bâtiment avec son smartphone ou sa tablette. Il accède alors à une histoire scénarisée et thématisée, racontée au fur et à mesure de son avancée sur le site. Pour cela, précise Francesco Termine, «l’utilisateur doit être géolocalisé en temps réel afin de pouvoir déclencher la bonne information en fonction de son itinéraire».

Découvrir l’ancien

Dans la région d’Yverdon-les-Bains, l’utilisateur de StoriaBox est invité dans la somptueuse villa romaine d’Orbe-Boscéaz en compagnie de Lucius, son propriétaire. En quarante-cinq minutes, l’équipe virtuo-réelle pérégrine sur le site pour découvrir l’histoire de ce lieu. A La Chaux-de-Fonds, le patron d’une manufacture et son fidèle ouvrier plongent le visiteur dans le passé horloger de cette ville à l’urbanisme si particulier. «Pour le moment, nous avons créé neuf itinéraires touristiques scénarisés dans l’Arc jurassien. Dans un autre domaine, nous proposons la visite du campus StrateJ de Delémont et commençons à démarcher les musées. D’un projet à l’autre, les contenus narratifs sont variés et adaptés à des offres de visite très différentes.»

Côté visiteurs, on apprécie l’innovation et l’interactivité. Nicolas, 6 ans, trouve «très chouette» de chasser un trésor sur le Doubs en compagnie du Capitaine Barbos. «Donner un côté ludique aux visites plaît beaucoup aux visiteurs, surtout au jeune public qui s’ennuie parfois sur certains sites. Liker un endroit ou chasser des Pokémons fait passer le temps», renseigne Miriam Scaglione. Professeure à l’Institut du tourisme de la HES-SO Valais, elle travaille sur la compréhension des trajectoires des visiteurs sur les sites touristiques.

Améliorer la réalité sans dénaturer le patrimoine

Reste le souci du coût, surtout lorsque le potentiel touristique ne permet pas d’amortir facilement un investissement élevé. «La création d’une visite scénarisée comme celle proposée à La Chaux-de-Fonds coûte environ 50’000 francs. Un tel budget est conséquent pour un site qui accueille peu de touristes, admet Francesco Termine. C’est pour cette raison que nous devons faire évoluer notre business model et réfléchir à une stratégie d’expansion en dehors de l’Arc jurassien.»

Spécialiste du tourisme culturel et auteure de nombreux livres sur le sujet, Claude Origuet du Cluzeau voit bien d’autres utilités à l’intégration de nouvelles technologies dans les offres touristiques et culturelles. «La réalité augmentée rend certains lieux plus abordables et spectaculaires: d’un simple tas de cailloux incompréhensible aux visiteurs non érudits, un site archéologique redevient attractif: la réalité augmentée permet de lui restituer son sens et son passé. Dans le cas d’un paysage naturel, elle permet de le voir évoluer au cours du temps, d’y changer la végétation ou les saisons pour l’observer en hiver ou en été.»

La spécialiste est un peu plus réticente lorsqu’elle visite un musée où prolifèrent les gadgets high-tech sans réelle utilité. «Il ne s’agit pas de sauter d’un appareil à l’autre en oubliant de regarder les œuvres. Les musées doivent garder une certaine solennité par respect pour le patrimoine qu’ils abritent.» C’est bien lui que l’on vient admirer et non pas ses accessoires technologiques.
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ENCADRES

Incubateur d’innovations touristiques

Dédiée au tourisme et à la culture, la start-up parisienne Welcome Citylab propose des solutions innovantes dans ces deux domaines. Un exemple: grâce au projet Theater in Paris, les non-francophones peuvent suivre un spectacle donné dans la langue de Molière à l’aide de lunettes de réalité augmentée qui leur diffusent la traduction sous forme de sous-titres projetés directement sur les verres. De quoi permettre aux millions de touristes qui fréquentent Paris chaque année d’aller au spectacle.
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L’application SNUKR propose des parcours ludiques partagés par ses utilisateurs

Nature, running, art, romantique, architecture, ces quelques thèmes se trouvent sur la liste de ceux proposés par l’application SNUKR. Le principe est simple: après avoir téléchargé cet outil digital sur un smartphone, il propose une série de parcours sélectionnés selon le lieu de villégiature et les centres d’intérêt de l’utilisateur. Une manière mobile et douce de découvrir une ville et ses environs selon ses goûts.

Prenons l’exemple de Delémont, puisque le siège de Kinitic, la start-up qui a développé l’application, se trouve dans la capitale jurassienne. En sélectionnant le tag nature sur la page d’accueil de l’application, l’outil vous propose trois parcours de randonnée voisins de la ville. Si vous êtes plutôt patrimoine, vous aurez le choix entre trois autres parcours sillonnant le centre historique et la proximité de la vieille ville. «Participative, notre application permet aux personnes qui connaissent leur région de proposer leurs bons plans et parcours hors des sentiers battus, explique Chloé Saas Vuilleumier, directrice de Kinitic. Par le biais de notre application, ils les partagent avec les membres de la communauté qui peuvent suivre ces itinéraires et en proposer d’autres.» Les professionnels du tourisme bénéficient de plus de fonctionnalités et peuvent aussi proposer leurs parcours thématiques, moyennant une participation financière.

Son idée, la jeune femme l’a eue pendant ses voyages. «Lorsqu’on arrive dans un endroit inconnu, on est un peu désorienté et on ne sait pas par où commencer ses visites. Sur SNUKR, les tags permettent d’affiner son choix et d’obtenir un itinéraire très personnalisé.» Histoire de vivre Montréal comme un Montréalais! Développée en 2015 dans le canton du Jura et au Canada, l’application gratuite propose déjà quelque 300 parcours en Suisse et ailleurs dans le monde. «Les tags art et architecture sont les plus demandés. Si l’un de mes préférés est l’itinéraire street art à Lisbonne, ceux de Fribourg et Sion sont aussi très chouettes», confie Chloé. La prochaine étape: connecter cet outil aux réseaux sociaux, afin d’élargir la communauté — 1500 membres pour le moment — et d’enrichir les offres de parcours.
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Une version de cet article est parue dans la revue Hémisphères (no 13).

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