«Suivez votre instinct!» Le slogan asséné sur les affiches et bandes-annonces de «Sade» ne dédaigne pas le simplisme. Ainsi donc, voilà notre grand seigneur méchant homme mis à la portée de tous, ses écrits, jadis brûlés, aujourd’hui étalés aux regards de tous, et sa doctrine expliquée le plus candidement du monde aux masses cinéphiles: il suffit de suivre ses pulsions!
Ce serait aller un peu vite en besogne que de s’arrêter à cette injonction, et passer complètement à côté du film de Benoît Jacquot, qui vaut mieux que son slogan stupide.
Ces derniers jours, l’intelligentsia française ne s’est d’ailleurs pas privée de rappeler que la littérature sadienne se situe dans un «au-delà» du dicible qui lui assure un statut particulier dans l’Histoire. Et que, du fait même de son caractère extraordinaire, elle ne peut que se montrer résistante à toute forme d’adaptation, fût-elle scénique ou cinématographique.
De tout ceci, on prend acte. Mais on ne peut s’empêcher de ressentir un (coupable?) plaisir à la vue du film de Benoît Jacquot.
Et les précautions d’emploi qui s’imposent ne sont pas celles qu’on croit : il faut en effet aller voir «Sade», le film, sans attendre d’y trouver un condensé de l’univers sadien, celui de «Justine» ou encore moins de «Sodome et Gomorre». On n’y quêtera pas non plus un portrait du sibyllin marquis.
On prendra la chose comme une œuvre de fiction, prenant prétexte d’un épisode méconnu de la vie de Sade pour faire un film qui se suffit à lui-même et parvient assez idéalement à trouver sa place entre le cinéma d’auteur et le film grand public.
Le scénario lui-même est parfaitement délimité par un épisode clôt, suffisamment obscur et particulier pour constituer un point de départ fécond pour l’imagination: emprisonné au moment de la Terreur, Sade trouve refuge au cloître de Picpus où se terrent des représentants de la noblesse qui paient pour être détenus dans cette prison dorée plutôt que dans le trou à rat de Saint-Lazare.
Le film commence à l’arrivée de Sade à Picpus, il se termine le jour où il en sort, peu après la mort de Robespierre. Le cinéaste excelle à montrer la Révolution depuis le point de vue de la noblesse, sans se moquer d’elle ni s’en faire l’avocat.
Ces gens ne savent pas très bien ce qu’ils attendent, dans la peur et la résignation, en recréant une société à la fois déconnectée de la réalité contemporaine (on y joue des turqueries Grand Siècle) et constamment rappelée à elle par les convois qui approvisionnent la guillotine, ou encore par cette odeur pestilentielle qui se rapproche à mesure que le film avance.
Ce séjour en prison est en fait l’histoire d’une libération: Sade se prend d’affection pour une jeune fille noble pourvue d’intelligence et d’insolence, et qu’il fera déflorer après de longs préliminaires. Le message est simple: la liberté en dansant la carmagnole n’est qu’illusoire, seule compte la liberté individuelle, conquise le corps et l’esprit en avant.
Ce récit extrêmement simple d’une initiation n’aurait aucun intérêt s’il n’était porté par des acteurs parfaits et une mise en scène remarquable. Isild Le Besco incarne une vierge qui n’a rien d’une oie blanche et s’avère même parfois d’une précoce perversité dans son rapport à l’autorité parentale; Grégoire Colin joue les Conventionnels violents (où il apparaît que le mari qui bat sa femme n’a rien de sadien) avec son engagement physique habituel; Jeanne Balibar et Jean-Pierre Cassel manient l’excentricité avec doigté.
La directrice du casting mérite une palme. D’autant que Daniel Auteuil est surprenant en Marquis de Sade, jamais réellement inquiétant mais capable de glisser subrepticement d’une image paternelle de bon gars libertaire et spirituel dans des zones plus troubles où l’apparente désinvolture fait place à une sauvagerie animale.
Dernier et important détail: Benoît Jacquot sait filmer les corps. On l’avait déjà constaté dans son précédent film «L’Ennui», et on le vérifie ici. Sa caméra scrute les visages, n’épargnant aucun trait, aucune ride, aucun souffle. Faisant du grain de peau la matière où s’écrit son film, il laisse aux dialogues le temps de s’épanouir (et de dépasser le stade du cliché qu’ils n’évitent pas toujours).
Cette manière de réconcilier le corps et l’esprit est, à la rigueur, ce qu’il y a de plus sadien dans ce film qui défie décidément toutes les attentes. Et dont la réussite ne se situe pas où on l’attendait.
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A voir aussi, le site du film «Sade», qui propose d’amusantes gravures licencieuses du XVIIIe siècle.