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Jean-Paul II se lance dans la dance… avec quelques arrières-pensées

Pour concurrencer les Eglises pentecôtistes et les sectes, le pape s’est fait remixer par des DJ’s new age. Corinne Bloch reste sceptique.

A presque 80 ans, Jean-Paul II vient de s’offrir une gâterie médiatique: un CD de onze titres sur lequel il récite des prières et des homélies mixées à de la dance music doucereuse. Largement annoncé par la presse, le disque «Abbà Pater» est sorti le 23 mars dernier chez Sony, à l’occasion du vingtième anniversaire du règne de Jean-Paul II et en prévision du Jubilé de l’an 2000.

Le disque du saint-père semble surtout faire partie d’une vaste opération de dépoussiérage de printemps. Ce détergent sponsorisé par Radio Vatican est censé attirer une cohorte de fraîches ouailles au sein de l’Eglise deux fois millénaire. Une façon de damer le pion aux groupes évangélistes et pentecôtistes issus des Eglises protestantes officielles. Depuis le début des années 70, ces nouvelles communautés attirent des millions de chrétiens dans le monde, en misant sur une pratique de la foi moins liturgique, plus émotionnelle, dans laquelle la musique et les chants jouent un rôle essentiel.

Je le confesse volontiers, je n’ai pas acheté le disque du pape. Les litanies ânonnées du vieil homme, entendues au journal télévisé, ne m’ont pas bouleversée. Dieu me pardonne, mais tant qu’à écouter la bonne parole sur de la musique rythmée, je crois que mon coeur balancerait plutôt pour Marcello Rossi, le nouveau prêtre chanteur de rock de l’Eglise catholique brésilienne.

Je ne suis pas la seule. Cet abbé de trente et un ans, qui dope l’audimat à chacun de ses passages à la télévision, a déjà vendu près de trois millions de disques en deux mois, un record absolu au Brésil.

«Ce qui frappe d’emblée chez Marcello Rossi, c’est son côté rétro, observe le correpondant brésilien du magazine Actualités des religions. Avec ses cols romains, ses costumes gris mal coupés, ce grand échalas de près de deux mètres paraît toujours à côté de ses pompes. Un peu timide, raide, il répète inlassablement des phrases prévisibles et relativement creuses, avec l’air appliqué d’un éternel premier de classe.»

Rien, a priori, pour rivaliser avec Leonardo Di Caprio dans le coeur des Brésiliennes. Et pourtant, les messes chantées du père Marcello drainent des millions de fans. Au point que l’abbé est devenu la nouvelle coqueluche des médias. «Je ne voulais pas devenir une star», confie-t-il à la revue Caras, fleuron de la presse populaire locale, qui l’affiche en couverture. Son visage allongé s’étale sur des bibles, des emballages de chapelets, des posters, des disques et même des CD-Rom.

«En fait, son style classique rassure nombre de Brésiliens et sert de signe de ralliement à une population catholique déroutée», analyse le magazine Actualité des religions. Depuis, d’autres prêtres ont chanté leur messe pour la radio.
Les nouveaux prêtres chanteurs du Brésil se revendiquent d’un mouvement récent, le Renouveau charismatique, sorte de version catholique du pentecôtisme protestant. En mettant elle aussi en avant une religion fondée sur l’émotion et la prière, l’Église catholique joue désormais sur le même terrain que les Églises évangélistes et les sectes, qui connaissent une vitalité sans précédent dans l’ensemble de l’Amérique latine.

A Rome, la témérité musicale de l’Église catholique devrait atteindre son apogée avec la messe du Jubilé de l’an 2000. C’est le compositeur italien Ennio Morricone, davantage connu pour ses musiques de western que pour ses cantiques, qui est pressenti par le Vatican pour écrire la messe qui devrait réunir quelques 25 millions de pèlerins dans la capitale.

Mais l’Église a beau faire danser ses prêtres et swinguer ses litturgies, son plan de modernisation n’est pas gagné d’avance. Le nouvel emballage risque surtout de faire ressortir davantage les anachronismes du contenu. Que le pape chante le «Pater Noster» sur fond de hurlements de fans déchaînés, comme c’est le cas sur son CD, ne change rien à l’affaire: l’histoire de l’Église catholique de cette fin de millénaire se confond avec celle d’un vieillard malade qui refuse de concéder à ses fidèles les acquis de son siècle.