L’artiste présente ses oeuvres à Paris. Dans une interview donnée au «Journal des arts», elle parle de la puissance répressive de la société suisse. Pendant ce temps, Jacqueline Fendt dévoile les sponsors de l’exposition nationale.
«Sensuel, ludique, émotionnel»: ces adjectifs surgissent régulièrement de la bouche de Jacqueline Fendt, directrice de l’exposition nationale suisse qui débutera dans deux ans jour pour jour.
Il faut savoir que quatre fois par siècle, la Confédération helvétique organise un gigantesque happening folklorique pour rassembler les citoyens des quatre régions linguistiques autour d’une même expression culturelle. Que la prochaine expo, prévue pour l’an 2001, déclenche déjà des psychodrames identitaires n’a rien d’étonnant: cette fête de grand luxe devra refléter la Suisse contemporaine, promettent ses organisateurs. Un projet ambitieux.
Mais lorsqu’on leur demandent de détailler leur vision, les promoteurs se contentent de répéter que l’expo.01 sera «sensuelle, ludique, émotionnelle», comme pour éviter d’entrer dans un discours rationnel.
Parfois, les organisateurs sortent de leur cuisine neuchâteloise et dévoilent quelques aspects de la manifestation à venir. C’est précisément ce qui s’est passé lundi: Jacqueline Fendt a fièrement annoncé que l’entreprise Coop allait financer l’installation d’un pudding géant à Neuchâtel, et que le Credit Suisse avait promis de payer un grand projet dédié aux nouvelles technologies.
Elle a aussi dit qu’un spermatozoïde monumental serait installé à Yverdon, et qu’une animation identitaire «hors sol» serait placée à Morat.
Selon Jacqueline Fendt, onze animations d’expo.01 ont déjà trouvé des sponsors, pour un montant assuré de 150 millions de francs suisses. L’objectif des organisateurs était d’en obtenir au minimum 250 millions à la fin avril 1999.
Reste donc à convaincre les entreprises privées de débloquer 100 millions de francs. La directrice se montre optimiste: elle affirme avoir obtenu des promesses de dons pour un montant de 80 millions.
Ces sommes n’ont rien de «sensuel», rien de «ludique», rien d’«émotionnel». Elles sont pourtant devenues indispensables à la réalisation d’un projet national privatisé.
Pendant ce temps, l’artiste Pipilotti Rist présente sa nouvelle exposition à Paris. Près de six mois après sa démission de la direction artistique d’expo.01, elle semble avoir recentré ses efforts sur sa propre carrière. L’expérience collective du projet national appartient, pour elle, au passé.
Dans un interview donnée au «Journal des arts» du 30 avril, Pipilotti Rist parle un peu de la Suisse. Le journaliste lui demande d’expliquer certains comportements «déviants» qu’elle a mis en scène dans ses vidéos, comme cette femme qui casse délibérément la vitre d’une voiture garée dans la rue: «Est-ce en réaction à la rigidité de la société suisse?»
«Peut-être que la société y est plus rigide qu’en France, répond Pipilotti. Tout le monde veut se cacher et personne ne prend de risque. La différence des sexes est tout aussi affirmée. J’ai effectivement réagi à cet état d’esprit. Cette puissance répressive est beaucoup plus dure que ce simple geste de casser une vitre de voiture.»
Finalement, je me dis que le vrai miroir de la société suisse contemporaine est peut-être là, dans l’exposition personnelle de Pipilotti Rist à Paris plutôt que dans cette expo.01 sponsorisée par la Coop et le Credit suisse. Les vraies décisions n’appartiennent-elles pas à ceux qui les paient?
Pipilotti a cassé son jouet, et c’est cela qui me plaît.
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Dominique Page, journaliste suisse, aimerait parfois casser la vitre d’une voiture garée dans la rue.
Pipilotti Rist, «Remake of the week-end», jusqu’au 19 septembre 1999 au Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11, avenue du Président Wilson, 75116, Paris. Téléphone: 01 53 67 40 00. Tous les jours sauf lundi, de 10h à 17h30. Samedi et dimanche, de 10h à 18h45.
