«C’est l’effet de serre! Mais non, t’as rien compris, la nature a ses fantaisies que nous ne pouvons connaître à l’avance!» La catastrophe qui vient de s’abattre sur les Alpes valaisannes interpelle, suscite le débat, provoque l’indignation.
Comme chaque fois que l’homme est confronté à la puissance de la nature, les explications les plus étonnantes refont surface. Avec juste une petite touche de mise à jour: là où nos aïeux supputaient la main du malin, nos contemporains penchent volontiers pour la mise en cause de l’homme et de ses réalisations.
Je l’avoue humblement, j’ai de la peine à me faire une religion.
Il me semble que depuis en gros un demi-siècle, depuis que l’on a domestiqué la montagne pour en faire une source d’énergie électrique et le paradis du tourisme de masse, certains équilibres ont été changés. On a complètement modifié les rapports d’irrigation des vallées en captant les eaux. La main de l’homme se fait moins pesante sur le paysage faute d’agriculture de montagne. Mais on sait aussi que les forêts se portent mieux aujourd’hui qu’au siècle passé.
On sait que la manière d’endiguer le cours du Rhône et de la quasi totalité de ses affluents a enlevé de nombreux freins à leurs crues subites en rompant aussi des équilibres écologiques. Mais d’un autre côté, la richesse créée par les terrains gagnés sur les divagations fluviales est telle qu’elle permet sans autre, économiquement parlant, d’amortir des catastrophes comme celles d’aujourd’hui ou de 1993.
Une chose est certaine: l’histoire des Alpes, telle que nous commençons à mieux la connaître depuis une vingtaine d’années seulement, nous enseigne que la vie des populations alpines a été étroitement liée à des cycles marqués par le réchauffement ou le refroidissement du climat.
Réchauffement vers l’an 800 quand Charlemagne ou ses proches parsemaient les vallées grisonnes de petites merveilles du genre de l’église de Mistail près de Tiefencastel. Réchauffement encore quand les premiers Confédérés, vers 1300, s’accordent pour se partager les bénéfices induits par le développement du commerce entre le nord et le sud de l’Europe; quand, à la même époque (1291), les habitants de la région du Simplon et du Mont Rose se retrouvent à Simplon-Village pour négocier avec Milan et l’évêque de Sion les conditions du passage du col; quand, à la même époque toujours (1291!), les habitants de Chamonix obtiennent des franchises, eux qui sont au croisement de voies de communications reliant non seulement la Valais à la Savoie, mais la Savoie au val d’Aoste par un col aujourd’hui englouti.
Un col englouti! Les Alpes sont pleines de légendes de villages disparus. Je ne parle pas de Tignes ou de Zervreila victimes des barrages. Je parle des villages engloutis par les éboulements ou la progression des glaciers. Par exemple, Rottal, ce vallon au flanc de la Jungfrau qui fut habité jusqu’au XVIIe siècle et qui, aujourd’hui encore, est recouvert de glace.
Entre 1590 et 1600, le refroidissement du climat provoqua une série impressionnante de catastrophes, tant en Suisse qu’en Piémont ou en Savoie. Une inondation venue de Mauvoisin provoqua la mort de 70 personnes à Martigny en 1595.
Ce refroidissement atteignit son maximum vers 1680 et se maintint jusqu’au milieu du XIXe siècle. Dans son «Histoire du climat depuis l’An Mil», Emmanuel Le Roy Ladurie illustre cette évolution avec schémas, croquis et gravures comparées. C’est passionnant.
Cela ne fait «que» 150 ans que les glaciers reculent par un phénomène qui a donc commencé bien avant que l’effet de serre ne devienne un effet de mode. Mon ironie n’entend pas laisser supposer que la politique environnementale pratiquée dans les régions alpines soit un modèle. Mais on ne saurait charger le pétrole de toutes les catastrophes. D’autant que l’avenir s’annonce encore plus chaud.