Al Gore a joué un rôle important dans le développement d’Internet et des télécommunications. Il aurait pu profiter de cet argument pendant la campagne électorale. Au lieu de cela, il s’est fait ridiculiser. On l’a même accusé d’avoir voulu se faire passer pour l’inventeur du Net, une déclaration qu’il a réfutée à plusieurs reprises. Mais il revendique l’expression «autoroute de l’information».

Quel a été son rôle exact dans cette révolution technologique? Pour le comprendre, il faut remonter aux années 60. Le réseau que nous connaissons aujourd’hui trouve son origine dans une agence du département américain de la Défense, l’ARPA (Advanced Research Projects Agency), associée à plusieurs programmes universitaires et privés afin de mettre en place un système de communication informatique novateur.
Un tel réseau devait accélérer le développement technologique des Etats-Unis, tout en fournissant un moyen de maîtriser la transmission d’informations en temps de guerre.
Le réseau baptisé ARPANet, basé sur ces recherches, a été inauguré en 1972. Il reliait des terminaux situés dans 40 localités différentes. Son développement a été accompagné de nombreuses technologies périphériques, dont le célèbre protocole TCP/IP. Ce protocole, encore en service aujourd’hui, permettra d’augmenter considérablement le nombre d’usagers branchés au réseau.
C’est à cette période qu’Al Gore s’est intéressé au dossier. «En 1976, j’ai commencé à évangéliser pour la création de réseaux informatiques à haute capacité, alors que personne n’en parlait au Congrès, déclare le candidat dans la dernière édition du magazine Red Herring. C’est à cette époque que j’ai défendu la mise en place d’une autoroute de l’information (information superhighway).» Dans la plupart des langues, la métaphore routière est encore utilisée aujourd’hui.
En 1983, les activités civiles et militaires d’ARPANet sont séparées. Le département de la Défense continue de financer le développement du réseau mais lance un projet indépendant baptisé MILnet. Les réseaux civils se réunissent autour d’un nouveau nom, le NSFNet de la National Science Foundation. La migration de ce réseau sur le protocole TCP/IP a lieu en janvier 1983, date considérée comme «début officiel» d’Internet.
Nommé Sénateur du Tennessee en 1984, Gore ne cesse de plaider à Washington pour le développement des réseaux informatiques. Il dessine le «High Performance Computing Act», un projet de loi qui sera signé en 1991 et demande la création d’un grand réseau, le National Research and Education Network (NREN), qui verra le jour la même année.
Développé par la Nasa, le NREN devient un projet phare en matière de transmission de données ultra-rapides. En 1993, un réseau à très haut débit entre les centres de recherche est mis en place. Il est interconnecté au réseau NSFNet à une vitesse de 45 Mbps. Un débit trois fois plus important est atteint en 1995.
L’année suivante, Gore et Clinton annoncent l’initiative «Next Generation Internet» et octroient des fonds pour les recherches du NREN. En 1999, une vitesse de transmission de 622 Mbps (l’équivalent de 11’500 modems de bureau) est atteinte sur un réseau de la Nasa.
Gore utilise beaucoup le Net à titre privé. Il est régulièrement photographié avec son ordinateur portable Dell sur les genoux. Il prend une adresse email officielle dès 1993 et branche au passage le président Clinton. La Maison blanche ouvre son site l’année suivante.
L’ouverture du marché des télécoms, décidée en 1996 par l’administration Clinton, jouera un rôle décisif. Jusque là, les opérateurs américains se divisent en locaux et nationaux. La concurrence n’existe alors que pour les communications internationales: les Américains peuvent choisir leur opérateur pour appeler l’étranger, mais doivent s’abonner au prestataire local de leur ville.
Le Telecommunications Reform Act de 1996 fait sauter cette division en autorisant les compagnies locales à offrir des prestations internationales et réciproquement. Les télécoms vivent alors le chamboulement que l’Europe ne connaîtra qu’en 1998 avec la libéralisation. En quelques mois, les prix s’effondrent, les communications locales deviennent forfaitaires, les prestations Internet aussi.
Résultat: des dizaines d’alliances et de fusions créent des géants comme MCI-Worldcom ou AT&T-BT. «Je pense que notre Telecommunications Reform Act, pour lequel j’ai été la personne clé dans l’administration, a permis le développement d’une nouvelle concurrence dans tous les domaines de l’informatique, des logiciels, de la téléphonie, etc, analyse aujourd’hui Al Gore. Cela a donné une secousse au secteur juste au bon moment.»
Le problème est apparu à la fin de l’année 1999. En vue de la campagne présidentielle, Al Gore a peut-être voulu s’attribuer un rôle disproportionné par rapport à son engagement réel dans le développement du réseau. La rumeur a couru qu’il avait même prétendu avoir «inventé» Internet.
En fait, il avait dit à Wolf Blitzer, de CNN, qu’il avait pris l’initiative de la création d’Internet quand il était au Congrès. Maladresse? Prétention? Ses adversaires en ont profité pour le ridiculiser. Et son atout cyber s’est retourné contre lui. Par la suite, Al Gore a déclaré au New York Times que cette phrase constituait la plus grande erreur de sa campagne.
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Article publié le 10 novembre 2000. Complété le 11 novembre 2000.
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Dessin: Alexia de Burgos
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