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Les orgasmes raffinés de «Thérèse et Isabelle»

Censuré dans les années 50, mais défendu par Beauvoir et Genet, le livre très érotique de Violette Leduc reparaît aujourd’hui dans sa version intégrale. Une lecture beaucoup plus suggestive que les audaces trash de «Baise-moi».

Les éditions Gallimard viennent de republier, dans sa version intégrale, un roman érotique de Violette Leduc datant en 1954, «Thérèse et Isabelle». Le livre, qui raconte crûment la passion entre deux collégiennes, avait été censuré à l’époque par Gaston Gallimard, par crainte de poursuites pénales.

Par-delà la polémique sur la censure de l’ouvrage, aujourd’hui périmée, cette réédition est l’occasion de se demander si l’érotisme féminin d’il y a un demi-siècle a gardé son pouvoir de provocation, ou s’il a au contraire plutôt mal vieilli, à l’heure où les best-sellers littéraro-hard de Virginie Despentes (auteur de «Baise-moi») sont en vente dans les supermarchés.

Rappelons que Violette Leduc, décédée en 1972, a été, dans les années 60, un écrivain culte, adulée par un petit nombre d’admirateurs et reconnue par Jean Genet comme une «soeur en littérature». Auteur de romans intitulés «L’Affamée» ou «La Bâtarde», elle traînait derrière elle une réputation de femme libre et d’amante scandaleuse, même si elle était publiée par les respectables éditions Gallimard.

Incidemment, la romancière faisait aussi partie du cercle d’amis de Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir. C’est cette dernière, dont elle fut un moment amoureuse, qui l’aurait encouragée a écrire «Thérèse et Isabelle», en s’inspirant de ses expériences de jeunesse. Violette Leduc avait vécu avec une enseignante avant de se marier, par amour, avec un homme.

L’action de «Thérèse et Isabelle» se déroule dans un pensionnat de province pour jeunes filles. La narratrice et sa voisine de dortoir, deux adolescentes qui semblent d’abord se détester, finissent par s’aimer avec fureur, pendant trois jours et trois nuits, à l’insu des surveillantes et des autres pensionnaires.

Avec ses murs épais, sa discipline militaire, ses ingénues en robe de chambre, ses cabinets qui sentent la naphtaline, le décor de «Thérèse et Isabelle» rappelle les couvents du marquis de Sade, les prisons de Genet ou les manoirs de Pauline Réage, l’auteur d’«Histoire d’O».

Mais ce qui fait l’originalité du livre, c’est son style, un style qui vise, d’après la romancière, à «rendre le plus exactement possible, le plus minutieusement possible, les sensations éprouvées dans l’amour physique».

Ce projet se traduit par une écriture «féminine», lyrique, haletante, lumineuse et allusive, qui a sans cesse recours à des métaphores poétiques pour décrire les pratiques sexuelles les plus explicites. Plusieurs critiques ont souligné le caractère mystique de l’érotisme chez Violette Leduc.

En refermant le livre, on est frappé de constater à quel point nos conceptions semblent avoir changé, aussi bien en matière d’érotisme que de littérature. Pour ce qui est de l’érotisme, les ébats de Thérèse et Isabelle paraissent aujourd’hui bien convenables, si on les compare, par exemple, aux inventions d’Alina Reyes («Le Boucher»), de Marie Darrieussecq («Truismes») ou de Helen Zahavi («True Romance»).

Pour ce qui est de la littérature, en revanche, on comprend l’admiration que Genet et Beauvoir vouaient à Violette Leduc. «Thérèse et Isabelle» comporte des passages admirables. On est loin du langage vulgaire et pauvret dont nous abreuvent actuellement les écrivains trash. Chez Violette Leduc, on se «chiffonne», on se «supplie», on se «lape» en se vouvoyant.

Au bout du compte, les orgasmes raffinés de Thérèse et Isabelle s’avèrent peut-être plus suggestifs que les coïts crus de la pornographie dépressive ambiante. En s’inscrivant dans la tradition de l’érotisme littéraire au féminin, de Colette à Pauline Réage, le roman de Violette Leduc nous montre que le sexe peut être d’autant plus troublant qu’il n’est pas séparé du sentiment, et qu’en littérature, les pouvoirs de l’érotisme sont augmentés par ceux du langage.

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Quelques extraits de «Thérèse et Isabelle»:

Les préliminaires:
«Les lèvres se promenaient sur mes lèvres: des pétales m’époussetaient. Mon cœur battait trop haut et je voulais écouter ce scellé de douceur, ce frôlement neuf. Isabelle m’embrasse, me disais-je. Elle traçait un cercle autour de ma bouche, elle encerclait le trouble, elle mettait un baiser frais dans chaque coin, elle déposait deux notes piquées, elle revenait, elle hivernait. Mes yeux étaient gros d’étonnement sous mes paupières, la rumeur des coquillages trop vaste.»

Le point culminant:
«Je cherchai sa main, je la mis sur mon dos, je la fis descendre plus bas que les reins, je la laissai sur le bord de l’anus.
– Oui, dit Isabelle.
Je patientai, je me recueillis.
– C’est nouveau, dit Isabelle.
Le timide entra, Isabelle parla:
– Mon doigt a chaud, mon doigt est heureux.»

Le dénouement:
«Je me détachais de mon squelette, je flottais sur ma poussière. Le plaisir fut d’abord rigide, difficile à soutenir. La visite commença dans un pied, elle se poursuivit dans la chair redevenue candide. Nous avons oublié notre doigt dans l’ancien monde, nous avons été béantes de lumière, nous avons eu une irruption de félicité. Nos jambes broyées de délices, nos entrailles illuminées…
– Cela monte, cela monte…
– Toujours, toujours…»