En Suisse, l’industrie du téléphone portable commence à redouter un fléchissement de la croissance. Alors que les marges s’amenuisent, les opérateurs sont pris dans la spirale des cadeaux.
Dans votre boîte aux lettres, vous avez sans doute reçu ces derniers jours le catalogue d’un grand vendeur d’électroménager, par ailleurs ingénieur diplômé. Vous aurez peut-être, comme moi, été surpris d’y trouver en première page la photo d’un téléphone mobile plaqué or. Un bijou clinquant, de type Nokia 8210, authentifié 24 carats, à vendre pour 499 francs suisses si couplé à un abonnement Swisscom, et 998 francs sans abonnement.
Comment faire pour rendre au téléphone cellulaire un peu de sa noblesse initiale, maintenant que cet attribut de businessman est devenu le joujou de n’importe quel adolescent? Ce n’est pas la moindre interrogation d’une industrie qui commence à s’inquiéter d’une baisse de régime. «La saturation qui guette le marché de la téléphonie mobile laisse prévoir un fléchissement de la croissance», écrit Swisscom dans son rapport intermédiaire d’activité publié hier.
Il faut dire que la Suisse compte aujourd’hui près de 4,5 millions d’usagers de téléphone portable. Swisscom détient 67% de ce marché, soit 3 millions de clients, qui dépensent en moyenne 73 francs par mois (oui oui, cela représente 219 millions de francs de revenus mensuels). Le nombre de clients a continué d’augmenter cette année (680’000 nouveaux, dont un tiers de Natel Easy prépayés), mais ce qu’ils dépensent diminue (la moyenne par client était de 85 francs en 1999).
L’explosion des SMS (418 millions d’envois de messages courts cette année, soit trois fois plus que l’an dernier) ne représente qu’une pâle compensation au plafonnement du chiffre d’affaire.
Jusqu’ici, les opérateurs avaient pour principal objectif de séduire les nouveaux abonnés. Avec une croissance du marché de 80 à 90% par année, cela représente évidemment la meilleure stratégie. «Cette année, nous misons encore à fond sur l’aquisition de nouveaux clients, reconnaissait Thérèse Wenger, porte-parole d’Orange, en juin. Nous changerons de méthode quand la saturation sera atteinte.»
Ainsi, cette année, le marché a encore été artificiellement dopé par les subventions que versent les opérateurs à la souscription de nouveaux abonnements. Le principe est simple: l’opérateur verse une commission (généralement entre 200 et 400 francs) au revendeur pour toute conclusion d’un nouvel abonnement. Les vendeurs répercutent ensuite cette baisse (moins leur marge, qui va de 50 à 150 francs par appareil) sur le prix des téléphones. Avec ce système, les modèles d’entrée de gamme deviennent gratuits, tandis que les appareils perfectionnés sont proposés à une fraction du prix catalogue, avant de devenir aussi gratuits quand les nouvelles séries arrivent.
Afin de gagner des parts de marché, opérateurs et revendeurs n’hésitent pas à limer encore leur marge pour des offres occasionnelles. Cette course aux subventions a été accélérée par le fait que les opérateurs ne sont pas partis en même temps. Diax est arrivé sur le marché à la fin 1998 et Orange en juin 1999, alors que Swisscom, qui a ouvert son réseau GSM en 1992, comptait déjà plus de 2 millions d’abonnés. Pour s’imposer sur un marché monopolisé, les nouveaux venus ont dû proposer des cadeaux incitatifs. Cette culture du téléphone gratuit s’est prolongée pour devenir une particularité toute hélvétique (les subventions n’atteignent pas de tels montants dans les autres pays européens).
Les opérateurs affirment tenter par tous les moyens de mettre fin à cette spirale, mais ils se tiennent par la barbichette puisque celui qui continue rafle la majorité des clients, qu’ils soient nouveaux venus ou adeptes du tourisme cellulaire. Tous les opérateurs prétendaient l’an dernier qu’il n’y aurait plus de téléphones gratuits en 2000.
Seule l’arrivée de la troisième génération de mobiles (le fameux UMTS dont la récente mise aux enchères des licences a donné le fiasco que l’on sait) offrira une opportunité aux concurrents de mettre fin à cette générosité intéressée. La transmission d’images et le Net à haut débit promettent en effet d’importants revenus.
