Guillaume Chenevière est un homme extraordinaire. A quelques mois de son départ à la retraite, le patron de la Télévision suisse romande a encore réussi, de justesse, a faire entrer son entreprise dans le cybermonde.
«C’est un petit pas pour le Net mais un grand pas pour la TSR», a-t-il ironisé vendredi lors de l’inauguration du site tsr.ch. Il aurait même pu parler d’exploit compte tenu du retard qu’il a fait prendre à sa chaîne dans le domaine du multimédia.
Le 1er mars prochain, Guillaume Chenevière pourra enfin laisser les clés de la TSR à son successeur. Cela fait trois ans qu’il attend cet instant. Forcé de rempiler à la tête d’une entreprise qu’il voulait quitter, il s’est finalement acquitté de sa tâche avec bonne conscience. Il a un peu négligé les nouvelles formes de diffusion de l’information, mais quand il a vu clignoter le signal d’alarme, il a su prendre les mesures qui s’imposaient.
Résultat: depuis vendredi, la télévision romande dispose d’un vrai service en ligne, avec des infos en temps réel, du contenu exclusif et même quelques images qui bougent. Rien à voir avec la chose qui logeait à l’adresse www.tsr.ch (le site précédent, avec son design d’un amateurisme très kitsch, était devenu culte dans le petit monde du Web francophone).
Jusqu’ici, seule l’émission A bon entendeur réussissait à tirer parti du réseau. La TSR passe aujourd’hui à l’échelon supérieur et malgré quelques maladresses, sa nouvelle réalisation paraît claire, utile et ergonomique.
C’est le journaliste Christophe Rasch, connu du public pour ses présentations du Téléjournal du week-end, qui a dirigé ce chantier sous la responsabilité éditoriale de Philippe Mottaz. Les deux hommes ont travaillé aux Etats-Unis, ils connaissent aussi bien les exigences des internautes que les résistances du service public. Ensemble, ils ont mobilisé une petite équipe pour vaincre l’inertie légendaire de la chaîne et la doter d’un site digne de ce nom.
Ce nouveau site s’inscrit dans un projet pharaonique, nom de code «Actu 2000». Il s’agit d’une nouvelle salle de rédaction entièrement numérisée, budgétée à 17 millions de francs suisses et qui, malgré son nom, n’ouvrira pas ses portes avant le 21 août 2001.
«Ce système doit nous permettre de produire un contenu une seule fois et de l’utiliser partout mille fois, explique Philippe Mottaz. L’ensemble du projet a été retardé d’un an mais dans la mesure où c’était possible, j’ai tenu à maintenir la date de lancement initiale pour le site tsr.ch».
Depuis vendredi, les téléspectateurs romands peuvent donc voir à l’antenne quelques bandes de lancement les incitant à se connecter sur le site de la TSR (ce qu’ils vont faire de plus en plus si l’on en croit les tendances télévisuelles observées aux Etats-Unis). Les bandes-annonces sont sponsorisées par des marques comme World Online, e-Sider.com et BCV Private Banking.
En dehors de ces quelques partenaires commerciaux, tsr.ch n’accueille pas de publicité pour l’instant. La chaîne n’a pas encore choisi la régie qui commercialisera sa publicité en ligne et qui contribuera ainsi au financement du site – un site principalement financé par de l’argent public mais dont curieusement personne ne semble connaître le coût exact.
Guillaume Chenevière n’est pourtant pas cachottier. Il est prêt à lâcher dans une conversation que les activités en ligne de la télévision alémanique disposent d’un budget annuel de 1,7 millions de francs, par exemple. Ou alors que le site de la Radio suisse romande coûte environ 500’000 francs par an.
Mais quand on lui demande le prix de son propre service Web, le patron de la TSR reste suprêmement évasif. Il explique d’abord que les choses ne sont pas si simples, il zig-zague dans ses explications comptables et finit même par s’étonner qu’on puisse s’intéresser à de telles broutilles.
Le patron de l’info, Philippe Mottaz, est à peine plus clair. Il prend le risque de répondre «non» quand on lui demande si le site a coûté plus de 500’000 francs, et «oui» quand on lui demande s’il a dépassé les 200’000 francs. Mais aussitôt, Guillaume Chenevière l’interrompt pour répéter qu’on ne peut pas vraiment dire ça et que je vous assure, les choses ne sont pas si simples.
Apparemment, les activités en ligne de la TSR occuperaient une dizaine de postes. A cette équipe basée à Genève se sont ajoutés, à Berne, trois professionnels de la Webfactory, le centre de développement de l’audiovisuel public à qui l’on doit notamment l’excellent site swissinfo.org de Radio suisse internationale (SRI).
«Le site de la TSR et le nôtre ont des habillages très différents mais ils sont basés sur les mêmes outils, ce qui simplifie beaucoup de choses, explique Pascal Dreer, gourou informatique de Swissinfo. Cette fois-ci, on peut dire que la synergie a très bien fonctionné. Pour tsr.ch, nous assurons l’aspect technique et l’hébergement mais sur le plan du contenu, les gens de Genève peuvent rester indépendants.»
Dans cette SSR-SRG Idée suisse où chaque région linguistique travaille généralement dans son coin et où chaque unité d’entreprise défend jalousement son autonomie, l’événement méritait d’être signalé: dans le domaine du Web en tout cas, l’esprit de collaboration commence à contaminer l’audiovisuel public.
Il ne manque plus qu’un peu de transparence sur les questions financières et tout sera parfait.