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Des slogans «multi-kulti» pour affronter Blocher

«Imaginez qu’à l’Opéra de Zurich ne chantent que des Zurichois.» Ou alors: «Imaginez que les rues de Zurich ne soient construites que par des Zurichois.» Ou encore: «Imaginez qu’à Zurich, il n’y ait que des magasins zurichois.»

Rédigés selon le même modèle, quatorze slogans sont venus s’afficher ces derniers jours sur les murs de la métropole. Ils ont aussi tapissé la gare principale et ses alentours immédiats, où près d’un million de personnes, dont un grand nombre de pendulaires, transitent chaque jour

Cette gare, c’est le cœur de la ville, l’endroit stratégique pour s’adresser tant aux Zurichois qu’aux étrangers et aux habitants des banlieues. Et c’est justement là le but de l’opération.

Il faut savoir qu’à Zurich, la villle est politiquement à gauche et le canton à droite. Dans les petites villes nanties et les campagnes, l’Union démocratique du centre (UDC) ratisse très large. Mais le parti de Christoph Blocher aimerait bien faire vaciller la coalition rose-verte de la ville. Pour y parvenir, tous les moyens lui semblent bons, et en particulier celui-ci: s’opposer aux projets de la ville de Zurich par des pétitions. Notamment lorsque les projets viennent au secours des étrangers.

Ainsi, l’UDC avait réussi, en pleine guerre du Kosovo, à faire refuser par les citoyens un projet visant à créer un centre de contact pour familles suisses et albanaises. Le parti, soutenu par trois milliardaires, dont Blocher, n’avait pas lésiné sur les moyens pour gagner la votation, inondant la métropole d’affiches et de tracts sur lesquels on lisait en gros caractères: «Albaner NEIN» et, en tout petit, «Centre de contact».

Aujourd’hui, c’est la Ville de Zurich qui attaque les préjugés distillés par l’UDC en déployant une campagne publicitaire aussi simple et directe qu’efficace. Ses slogans, développés par l’agence de pub Advico Young & Rubicam, font simplement appel au bon sens, mais provoquent sans doute des saines prises de conscience chez ceux qui ne veulent plus voir les évidences et sont entraînés dans la spirale de la peur de l’autre.

Cette peur était ressortie en 1999. Tous les deux ans, la ville de Zurich interroge ses citoyens par questionnaire téléphonique pour savoir ce qu’ils aiment et ce qu’ils n’aiment pas, pour savoir quels sont leurs problèmes et leurs sujets de satisfaction. En 1999, donc, ressortait clairement que leur problème no 1 était la peur de sortir, la peur de se faire agresser, sous entendu: «par des étrangers».

Aujourd’hui, il y a 28% d’étrangers dans la métropole qui compte 300’000 habitants. Mais, en 1910, il y en avait 34%, dont une majorité d’Italiens venus construire une ville qui commençait à peine son expansion.

Depuis, les Italiens se sont intégrés à tous les nivaux et ils lancent les modes tout en se battant pour la naturalisation facilitée. Il en va de même des Espagnols et des Portugais. Mais la communauté balkanique, slave et albanaise, a connu une forte expansion ces dernières années (elle est bien plus importante qu’en Suisse romande), ce qui engendre des tensions et des conflits soigneusement alimentés par l’UDC.

Ce qui n’empêche pas la Zurich à la mode de se revendiquer «multi-kulti» et de développer une véritable «world-culture» tant culinaire que musicale.

Soucieux d’intégration, l’exécutif de la ville prend des mesures pour appeler à une meilleure compréhension et à une meilleure cohabitation entre étrangers et Suisses. Ainsi, dès le printemps prochain sera introduit un projet pilote intitulé «culture de l’habitat» visant à aider les locataires à résoudre les conflits de voisinage en nommant des responsables de quartier chargés d’arbitrer les conflits et de conseiller et renseigner les nouveaux arrivants qui auraient du mal à se faire aux règles en usage, dont celles concernant les ordures – qui sont remarquablement contraignantes, même pour un Romand.

La campagne d’affichage lancée il y a quelques jours doit donc servir à soutenir les mesures prises en faveur d’une meilleure intégration des étrangers. Mais pas seulement, comme l’indique Brigit Wehrli-Schindler, directrice du Bureau pour le Développement de la ville. «Nous voulons aussi contrer l’image négative que l’on se fait de Zurich, explique-t-elle. En Suisse romande, on se la représente comme une ville arrogante, qui ne pense qu’à son rayonnement international en oubliant l’intérieur du pays. Ça, c’est l’image véhiculée par le nouveau nom de l’aéroport, Zurich Unique. Nous, nous voulons au contraire montrer que Zurich est une ville ouverte, tolérante et multiculturelle. Notre principal slogan est: «Eine Weltoffene Stadt ist eine Weltstadt», autrement dit: seule une ville ouverte sur le monde est une grande métropole.»

Mais avant tout, la campagne vise les citoyens zurichois. Elle s’adresse aux gens simples plutôt qu’aux intellectuels, à ceux à qui il faut rappeler que l’immigration n’est pas simplement synonyme de problème mais également porteuse d’avantages inestimables. En somme, la campagne vise ceux qui seraient tentés de voter UDC. Elle leur dit que cette ville n’existerait pas sans les étrangers. Ou serait mortellement uniforme.

Accompagnant les affiches, deux spots défilent sur la chaîne Télé 24 et dans les cinémas. Dans l’un d’eux, une voix de femme raconte en parfait züridütsch son bonheur de rentrer à Zurich après avoir volé avec Swissair. A la fin, elle apparaît dans le champ de la caméra: c’est Mary Wamaitha, une Noire originaire du Kenya.

L’autre spot fonctionne sur le même principe avec le Jamaïcain Richard Schuppisser, hockeyeur au ZSC Lions. Les deux ont été réalisés par la Société Chocolate. Enfin, dans les journaux du groupe TA-Media, des annonces complètent cette campagne qui, au total, a coûté 600’000 francs suisses.

«Ce qui est intéressant, reprend Brigit Wehrli-Schindler, c’est que nous avons reçu un grand soutien des politiques et des privés. Le maire Josef Estermann a dû faire passer son projet devant le Parlement pour obtenir un crédit de 250’000 francs: il n’y a eu que la commission de l’UDC à le refuser. Et les milieux économiques, dont l’UBS, la Swiss Re, la Migros, TA-Media nous ont largement soutenus. Ce sont eux qui ont complété le crédit de la ville. Les entreprises qui utilisent des étrangers ont tout intérêt à rappeler à la population que les immigrés sont les bienvenus.»

Depuis le début de la campagne, les réactions sont extrêmement positives – même les voix UDC sont restées discrètes. La ville de Bâle s’est dite très favorablement impressionnée et prévoit de s’en inspirer. Il n’y a guère eu qu’un commentateur du Tages Anzeiger pour déclarer qu’une telle campagne est dérisoire face à l’ampleur des problèmes et se réduit à de bons sentiments.

Si les spots défilent encore, les affiches ont disparu des rues. Mais, en janvier, la ville évaluera l’impact de la campagne qui sera relancée, dans une forme modifiée selon les résultats, au printemps.