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Voilà pourquoi il faut décriminaliser les drogues dures

En matière de stupéfiants, la politique du «tout répressif» va à rebours du bon sens. C’est un combat perdu d’avance, tant chez les pays producteurs qu’auprès des consommateurs. Explications.

L’avenir immédiat de la Colombie est peut-être en jeu. Le président Andrès Pastrana doit décider aujourd’hui 7 décembre 2000 si son gouvernement va continuer à attribuer une zone «démilitarisée» grande comme la Suisse à la plus importante des guérillas du pays, les Farc (Forces armées révolutionnaires de Colombie), guérilla qualifiée de «communiste» depuis ses débuts en 1964.

Si j’utilise des guillemets, c’est par commodité: la zone n’est pas démilitarisée puisqu’elle est au centre de l’activité des Farc. Seuls les gouvernementaux l’ont quittée. Par ailleurs, les Farc ne sont plus communistes depuis longtemps. Inspirées autrefois par Che Guevara, elles ont depuis 1964 mis beaucoup de coca dans leur marxisme et se contentent de gérer, comme n’importe quel pouvoir politique, la région qu’elles contrôlent: en défendant leurs acquis par les armes (et les enlèvements) plutôt que par les urnes.

L’enjeu de l’affaire est important. Un nouveau conflit entre le gouvernement et la guérilla pourrait s’étendre aux Etats voisins, eux aussi producteurs de drogues diverses, mais surtout de coca.

Selon un schéma désormais connu, les Etats-Unis sont décidés à poursuivre par tous les moyens la guerre à la drogue déclenchée il y a une quinzaine d’années. En ce domaine, leur politique est au «tout répressif». Répression à l’intérieur du pays où les petits dealers représentent l’essentiel de la population carcérale, une population dont l’Observatoire des drogues note que peu ou pas formée, elle échappe ainsi aux statistiques du chômage dont elle ferait passer le taux de 6% à 8%

En politique extérieure, les enjeux américains sont aussi colossaux. La Colombie est devenue, après Israël et l’Egypte, le troisième marché militaire pour les Etats-Unis qui ne cessent de développer leur soutien à l’armée gouvernementale, voire aux milices d’extrême droite des AUC (Autodéfenses unies de Colombie), et qui surtout développent des bases militaires dans les territoires alentour (Manta en Equateur, Aruba et Curaçao dans les Antilles néerlandaises au large du Venezuela), sans parler de leurs trois stations radars sises à l’intérieur du pays.

Investissements prévus: 1,3 milliards de dollars. Si la Colombie est malade de la drogue, l’Equateur et le Pérou ne sont pas en reste. Il semble de plus en plus probable que la fuite soudaine du président Fujimori soit liée à ces questions.

Les Etats-Unis ont mis au point avec les gouvernements concernés un «Plan Colombie» qui vise essentiellement à la répression et à l’introduction de cultures de substitution pour remplacer la feuille de coca. Cette politique va à rebours du bon sens. Seule une dictature aussi féroce que celle des talibans en Afghanistan peut décider, comme elle vient de le faire, de paupériser du jour au lendemain les populations rurales en interdisant la culture du pavot.

Ce refus du bon sens est purement idéologique: pour le gouvernement américain, le marché de la drogue sert à l’intérieur comme à l’extérieur d’exutoire aux insatisfactions de toutes sortes, qu’elles soient sociales, politiques ou militaires. Si le paysan colombien plante de la coca, c’est parce qu’il y a une demande d’autant plus frénétique et coûteuse qu’elle est clandestine.

Ce combat est perdu d’avance. La recette est connue: il s’agit de décriminaliser le marché de la drogue tout en contrôlant son commerce de manière stricte. Depuis des siècles que nous allons nous fournir dans des drogueries, ce n’est pas une idée très originale. Il est temps de rendre à ces officines leur fonction première.

On me rétorquera: mais les junkies qui hantent les métropoles développées? Leur sort n’a pas grand chose à voir avec la drogue, mais bien avec la politique économique et sociale de leurs Etats. Ce sort dépend plutôt des services sociaux de quartier que des cultures pratiquées par le paysans colombien, afghan ou birman.

Au début du XXe siècle, l’alcoolisme de masse a été éradiqué non pas en détruisant les vignes ou les vergers, mais en améliorant la condition ouvrière. Et l’absinthe, vrai poison qui rend fou, a été interdite.

J’ai vu au cours de ces trente dernières années le lent cheminement de la culture du chanvre progresser comme alternative au seigle dans les vallées alpines. On n’y est pas encore tout à fait, mais presque. Tout n’est donc pas perdu.

D’ici peu, le marchand de tabac nous présentera le cannabis valaisan ou tessinois dans de jolis bocaux, à côté des tabacs de Virginie, du Maryland ou de la Broye. J’espère vivre assez longtemps pour, quand sera venu le temps de l’ultime voyage, pouvoir descendre à la droguerie la plus proche choisir librement le viatique qui me le rendra agréable.

Si d’autres préfèrent, en extrême-onction, l’huile d’olive de leur curé, c’est leur affaire.

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Gérard Delaloye, journaliste et historien, travaille à Lausanne. Il est chroniqueur politique de Largeur.com.

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A consulter : le site de l’Observatoire géopolitique des drogues.