CULTURE

L’ordination de Sinéad O’Connor, devenue Mère Bernadette Marie

La chanteuse irlandaise a pu paraître folle en demandant son ordination à un prêtre dissident. Elle ne l’est pas tant que ça. Elle vient d’envoyer une lettre au pape, qui pose des questions sensées à l’Eglise catholique.

J’avais appris la nouvelle à la radio, il y a quelques semaines: Sinéad O’Connor était devenue prêtre. Ordonnée à Lourdes, au sein d’une branche dissidente de l’Eglise catholique. Elle avait changé son nom en Mère Bernadette Marie.

Provocation? Folie furieuse? Opération publicitaire? J’imaginais n’importe quoi, sauf une démarche sincère et raisonnée. J’avais tort. En lisant l’Observer du dimanche 9 mai, j’ai compris que la chanteuse irlandaise avait suivi un vrai chemin spirituel, et que sa conversion à cette Latin Tridentine Church n’avait rien de gratuit.

Je l’avoue, je n’ai jamais aimé les chansons de Sinéad, à part «Nothing Compares 2 U», cette obscure balade de Prince qu’elle avait transformée en un tube international il y a une dizaine d’années. «I can have my dinner in a fancy restauraaaant…» Je me souviens aussi de sa vidéo, de son visage tondu et de ses grands yeux d’enfant gorgé de larmes.

En fait, j’aimais la chanson, mais pas la personne. Son catholicisme rebelle, qui l’avait fait flamber une photo du pape en direct à la TV américaine, m’agaçait au plus haut point. En apprenant son ordination, j’ai d’abord eu envie de rire. Et puis, j’ai lu cette interview dans l’Observer, et j’ai compris, un peu, ce qui se passait dans sa tête de cantatrice chauve. Et c’est beaucoup moins ridicule qu’on pourrait le croire.

Au début de l’année, les tabloïds britanniques avaient décrit les déboires juridiques de Sinéad avec le père de sa petite fille: il réclamait la garde de l’enfant. Elle avait finalement eu gain de cause devant la justice, mais deux mois plus tard, épuisée, elle faisait machine arrière et laissait la garde de l’enfant à son ex-compagnon. «C’était une situation incroyablement difficile, raconte-t-elle à l’Observer. N’importe quelle femme dans cette situation se serait trouvée très proche de la mort. Je ne pouvais rien faire. Ils m’avaient adressé la pire insulte qu’on puisse adresser à une femme: ils insinuaient que je ne méritais pas d’être mère, ils allaient éloigner mon enfant de moi.»

«Dans une telle situation, poursuit-elle, si vous réagissez de manière émotionnelle, vous agravez votre cas. Si vous leur crachez au visage, comme vous devriez le faire, vous invalidez votre défense.» Finalement, elle avait plongé dans une dépression.

A la fin du mois de mars, le tabloïds rapportaient que Sinéad O’Connor avait tenté de mettre fin à ses jours. «Ce n’était pas vraiment une tentative de suicide, dit-elle aujourd’hui. Plutôt une manière de dire que je ne savais pas que faire ici bas.» Ses amis s’étaient alors rassemblés pour la soutenir, et Sinéad avait remonté la pente. «J’ai demandé au prêtre d’accélérer mon ordination, c’était une manière de me sauver.»

La cérémonie s’est déroulée dans une suite de l’Hôtel de la Grotte, à Lourdes. Le prêtre ordonnateur, Michael Cox, appartient à une congrégation catholique qui mène des rituels bannis par Vatican II. L’ordination de Sinéad a été dûment photographiée pour la presse, ce qui a pu faire croire à un coup publicitaire.

Les photos montrent une jeune prêtresse sexy et élégamment maquillée: «Oui, c’est délibérément que je me suis habillée pour Dieu, raconte Sinéad. J’ai l’intention de rester femme, je veux être superbe. Je vais continuer à porter des boucles d’oreilles, à me maquiller, à mettre du rouge à lèvres, de la lotion pour le corps, et mes plus beaux sous-vêtements: je veux être une putain de prêtresse sexy, et ceux qui n’aiment pas ça peuvent aller se faire foutre.»

En lisant ces mots, on pourrait croire que la chanteuse irlandaise a perdu la raison. Ce qu’elle dément, évidemment: «Je suis intelligente et parfaitement saine d’esprit, et c’est cela qui leur fout la trouille. Je n’ai jamais ressemblé à ce que l’on attendait de moi. Je n’ai jamais fait ce que l’on attendait de moi. Je n’ai jamais montré ma peur, et c’est une chose qui les effraie. Cela ne concerne pas seulement Sinéad O’Connor. Cela concerne toutes les femmes, et pourquoi les femmes sont considérées comme insolentes quand elles veulent devenir prêtres.»

Sinéad O’Connor vient d’envoyer une lettre au pape. Il me semble que cette lettre pose des questions sérieuses sur le rôle des femmes dans l’Eglise. L’Observer en publie quelques extraits. En voici la traduction.

«Lettre ouverte à Sa Sainteté Jean-Paul II, de la part d’une vilaine fille irlandaise.

Votre Sainteté,

Laissez-moi préciser les choses. Je suis la petite femme irlandaise remuante. J’ai essayé d’attirer votre attention depuis quelques années. Je l’ai fait de manière blessante quand j’étais plus jeune et je le regrette. Même maintenant, je me rends compte que je suis une révolutionnaire et je vous demande votre pardon et votre compréhension.

Ne pas considérer le féminin comme divin: c’est ce qui tue le monde. La compassion, les larmes, l’émotion, la passion, la colère, la Grâce Divine. Il y a trop d’agression parce que les hommes croient que c’est stupide d’agir avec douceur. En Amérique et en Angleterre, les dirigeants parlent de bombarder par-ci, et de tuer par-là, tandis que leurs enfants amènent des fusils et des bombes dans les écoles.

Quand on les interroge sur la question, Clinton et Blair répondent: «Nous devons enseigner à nos enfants des moyens d’exprimer leur colère avec des mots et non des armes.»

Combien de temps cette hypocrise devra-t-elle durer, Monsieur, avant que les mères de ce monde se mettent à protester? Nous sommes restées sans pouvoir dans toutes les cultures parce que les gens croient que Dieu n’est que masculin. Je vous supplie de comprendre à quel point vous pourriez sauver le monde en ouvrant votre coeur à Dieu notre mère comme à Dieu notre père…

Votre servante, Sinéad. Mère Bernadette Marie O’Connor.»

Elle a peut-être perdu la raison, elle est peut-être ridicule, mais qui dira qu’elle a tort?