KAPITAL

La grande affaire du Forum de Davos (de 1970 à nos jours)

Comment la petite station grisonne a-t-elle réussi à devenir, une semaine par année, le sommet du monde? Retour sur trente ans d’histoire. En marge du Forum, Largeur.com ouvre un vaste débat sur le libéralisme avec la Télévision romande.

Chaque année en janvier, tout le monde parle de globalisation de l’économie quand s’ouvre le Forum de Davos. Même Largeur.com y va de son grand débat sur la libéralisme, organisé en collaboration avec la Télévision suisse romande.

Mais comment la station grisonne est-elle devenue le symbole de la mondialisation?

Jusqu’aux années 1970, la commune de Davos est surtout connue pour avoir servi de cadre au roman de Thomas Mann, «La Montagne magique». En dehors de cette notoriété littéraire, rares sont ceux qui en ont entendu parler. Il faut dire qu’une vallée plus loin, St-Moritz jouit d’un renom international qui éclipse les attraits passablement bétonnés de sa voisine.

Et puis, Klaus Schwab est venu. D’origine allemande, ce spécialiste de la stratégie industrielle enseigne à l’Université de Genève quand, en 1970, il décide d’organiser une conférence européenne sur le management. Aidé par une poignée d’étudiants, il choisit Davos pour son premier symposium. Quelque 450 participants doivent y participer et, par la même occasion, repeupler les hôtels de la station. C’est à cette occasion que Klaus Schwab fait la connaissance de sa future épouse, Hilde, qui travaille à l’organisation du Forum.

Trente ans plus tard, Klaus et Hilde Schwab sont toujours mariés et le World Economic Forum (WEF) de Davos est devenu une institution riche et célèbre. Près de deux mille VIPs (very important persons) s’y réunissent chaque année. Pour appartenir à ce club très fermé, il faut débourser environ 30’000 francs suisses et peser au minimum un milliard de dollars de chiffre d’affaires. Grâce à quelques prises de participation bien avisées, Klaus Schwab a, depuis les débuts du Forum, réuni une fortune évaluée l’an dernier à plus de 100 millions de francs.

Si Davos reste son principal rendez-vous annuel, le WEF organise également une dizaine de sommets régionaux dans différents endroits du monde. L’organisation publie depuis 1979 le «World Competitiveness Report», un rapport qui établit le classement des nations selon leur degré de compétitivité industrielle. Avec une prétention qui frise l’insupportable, les responsables du Forum appellent leurs hôtes les «leaders globaux».

Le WEF n’a aucune légitimité gouvernementale, contrairement à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il s’agit d’un sommet organisé par des instances privées – ce qui ne l’a pas empêché de devenir un symbole de la mondialisation. Ce statut doit beaucoup au goût de Klaus Schwab pour l’approche pluridisciplinaire et les hommes de pouvoir. Dès 1973, le professeur n’invite plus seulement des managers mais aussi des experts en économie et surtout des hommes politiques.

C’est en devenant le théâtre d’une série de coups médiatiques que la station grisonne accède à la renommée mondiale.

Ainsi, la guerre froide aurait pris fin à Davos. En 1987, le ministre allemand des affaires étrangères, Hans-Dietrich Genscher, y prononce un discours qui fera date. Il appelle l’Ouest à coopérer avec le dirigeant de l’Union Soviétique, Mikhail Gorbatchov.

En 1989, c’est la première rencontre entre les présidents de la Corée du Nord et de la Corée du Sud. Rebelote historique en 1992 avec l’apparition commune de Nelson Mandela et du président sud-africain Frederik de Klerk. Puis, en 1994, Shimon Peres et Yasser Arafat s’entendent sur un début d’autonomie palestinienne.

Sensation en 1996. Bill Gates, alors au sommet de sa gloire, foule le sol de Davos pour la première fois. Il y est revenu chaque année, même si les stars du Net comme Steve «AOL» Case lui ont ravi la vedette.

Etiqueté «sommet des maîtres du monde», le WEF revendique pourtant un certain pluralisme en conviant aussi des artistes et des scientifiques dans la station grisonne. Dès le milieu des années 90, on y a même vu des dirigeants syndicaux.

En 1996, une critique venue du sommet de l’Etat français a sévérement froissé Klaus Schwab. Lors d’une rencontre du G7, le groupe des sept pays les plus industrialisés du monde, le président Chirac a qualifié Davos de haut lieu «d’une sorte de pensée unique à la gloire de la flexibilité et de la mondialisation».

Depuis ce différend, le WEF a pris soin d’étendre son parterre aux Organisations non-gouvernementales (ONG). Une démarche qui n’a pas convaincu les contestaires. En 1999, un centaine de manifestants ont semé le trouble devant le Centre des Congrès. Ils étaient plus d’un millier à affronter les forces de l’ordre l’année suivante. L’enseigne McDonald’s de la station a alors été dévastée.

L’édition 2000 a aussi été celle de la consécration américaine: Davos a reçu la visite du président Clinton. Jusque là, le Forum avait dû se contenter en 1998 de Hillary Rodham Clinton et en 1999 d’Al Gore.

Le dalaï-lama n’est jamais venu au World Economic Forum.

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Mary Vakaridis, journaliste, travaille pour la Télévision suisse romande et Largeur.com. Elle vit à Zurich.