GLOCAL

Le match Delanoë-Séguin vu de Suisse

Le duel télévisé était désolant. La ville de Paris mérite mieux que ces deux candidats qui se sont affrontés hier soir sur Canal. Delanoë s’est montré aussi retors que Séguin.

Puisque l’honorable conseiller aux Etats argovien Maximilian Reimann nous conseille à nous autres Suisses français d’aller voir du côté de Paris comment cela se passe, plutôt que de nous accrocher à une Confédération dont nous ne partageons plus les idéaux, je me suis collé hier soir devant Canal Plus pour assister au grand débat Delanoë-Séguin. Et j’ai fait l’effort d’essayer de suivre les joutes en me sentant concerné. Comme si j’étais un lointain provincial cherchant à découvrir le visage et les idées du futur maire de la capitale.

Eh bien, amis lecteurs, l’expérience ne fut pas concluante. Je me suis trouvé face à deux politiciens retors parlant une langue de bois aussi incompréhensible que celle en vigueur à Berne et prenant bien soin d’escamoter leurs vraies différences autant que leurs points de convergence.

Ainsi sur le plan personnel, je ne sais rien sur leurs goûts, leurs affinités, leur vision de l’existence. Ils ont joué leur rôle de spécialistes en politique parisienne comme si l’électeur moyen n’éprouvait aucune curiosité pour ce qu’ils sont dans la vie de tous les jours.

Je sais, pour lire les gazettes, que tous deux sont des pieds-noirs tunisiens encore attachés à ce pays, s’y rendent régulièrement, mais font chacun à leur manière le gros dos quand ils sont interrogés sur les graves violations des droits de l’homme pratiquées par le régime en place. On me dira peut-être que ces accointances n’ont rien à voir avec la gestion de Paris. Je n’en suis pas certain: l’ouverture sur d’autres cultures n’est pas indifférente quand il s’agit de diriger une ville qui est toujours perçue comme l’une des capitales mondiales et dont la population est abondamment métissée.

Par ailleurs, toujours sur le plan personnel, je me souviens que Delanoë a naguère reconnu publiquement son homosexualité, un coming out qui donna quelques espoirs à nombre de minorités sexuelles elles aussi foisonnantes dans la capitale. Il me semble que quand l’adversaire se pose aussi crûment en beauf de la droite, il n’est pas indifférent qu’un candidat fasse savoir à ces minorités qu’il est placé par sa propre expérience en situation de les comprendre. Mais, manifestement, l’argument n’est pas jugé porteur électoralement.

Sur le fond, je retiens que Delanoë, candidat socialiste, ne veut pas d’une police parisienne. Il ne veut pas, ce sont ses mots, «d’une police municipale dans la capitale d’un Etat républicain». Mais il se garde bien d’expliquer pourquoi sa préférence va aux CRS, ce corps de policiers entièrement soumis au gouvernement et fer de lance de la violence d’Etat. Or la réponse est simple, même si elle n’est pas présentable: depuis la Commune de Paris en 1871, le gouvernement français se méfie comme de la peste des potentialités révolutionnaires de la capitale.

Il est donc hors de question pour les républicains de doter le maire de la capitale d’un pouvoir militaire. D’autant plus que la France est si centralisée que se saisir de sa tête fait tomber le corps dans l’escarcelle. La grande trouille de Mai 68 est encore fraîche.

Mais le candidat socialiste veut quelques kilomètres de trams supplémentaires. Quand on voit les conditions de circulation à Paris, on se dit que ces quelques kilomètre (12, si je me souviens bien, c’est tout un programme!) sont ridicules par rapport aux grands chantiers qui firent entrer la capitale dans le XXe siècle: grands boulevards et métro.

En face, malgré ses mimiques et ses sourires, on voit bien que Séguin ne veut rien de plus. Impossible de le croire quand il parle d’une police municipale alors que les chiraquiens comme les socialistes sont hyper-centralisateurs. Ce qui m’a frappé, c’est qu’il endosse le bilan de ses prédécesseurs Chirac et Tiberi, tout en esquissant quelques pas de diversion pour tenter de faire comprendre qu’il ne les connaît pas.

Moralité: je serais bien emprunté de choisir. Pour être tout à fait franc, j’ai eu l’impression d’assister à un débat aussi porteur d’avenir que pourrait l’être une empoignade télévisée entre Blocher et Couchepin sur l’entrée de la Suisse dans l’Europe.

Courage, nous ne sommes pas les seuls dans la mélasse!