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Une télévision dans la tête de Gilles Marchand

Pendant des années, la TSR a utilisé l’expression «votre télévision» pour parler d’elle-même. Cette formule de laquais était même devenue son slogan. Vers la fin de son règne, Guillaume Chenevière s’énervait quand on le lui rappelait. «Cela fait longtemps qu’on n’utilise plus cette formule», m’avait-il dit un jour, comme pour assumer une bonne fois pour toutes le contenu de ses programmes. Je l’avais trouvé courageux.

Plutôt que de se réfugier derrière l’idée d’un téléspectateur moyen et abstrait («vous»), il préférait revendiquer ses émissions. Si la télévision est un miroir, ceux qui la font doivent aussi s’y reconnaître. C’est peut-être grâce à cet engagement qu’il a réussi à maintenir une part de marché de 30% au cours des dix dernières années alors que, dans la même période, l’offre télévisuelle a été multipliée par trois.

Depuis hier, Guillaume Chenevière n’est plus directeur de la TSR. Et voilà que son successeur, Gilles Marchand, 38 ans, se met déjà à recycler la vieille formule «votre télévision». Il l’a utilisée à plusieurs reprises lors de son discours d’introduction cet après-midi. Comme pour se dédouaner par avance. «L’identité romande de cette chaîne doit être réaffirmée», a-t-il dit. Une TSR encore plus romande que la TSR? L’avenir dira si c’est vraiment cela que souhaitent les téléspectateurs.

Au chapitre du fonctionnement, Gilles Marchand entend tout à la fois apaiser, renforcer et moderniser «votre» télévision. L’apaiser en s’occupant personnellement de la communication interne («cela permet souvent d’éviter les conflits»); la renforcer en privilégiant l’approche marketing («le marché doit être considéré comme une priorité»); et la moderniser en créant notamment un grand département baptisé «TSR interactive» que dirigera l’ancien patron de l’info, Philippe Mottaz.

Trois mois jour pour jour après ses débuts sur le Web, la TSR veut donc officialiser, dans sa structure même, son entrée dans le monde des nouvelles technologies. Son organigramme a été adapté de manière à donner à Philippe Mottaz une position hiérarchique équivalente à celle d’un Raymond Vouillamoz, directeur des programmes. On se souvient que le journaliste avait présenté sa candidature pour la succession de Chenevière. Qu’il ait finalement lâché le département de l’info pour cette fonction stratégique n’est pas si étonnant. D’autant que c’est l’un de ses lieutenants, André Crettenand, qui reprend la rédaction en chef de la chaîne.

L’idée d’un département interactif paraît bonne, même si on peut de demander quelle sera la cohérence de ce service qui réunira tout à la fois des spécialistes multimédia, un secteur de «veille technologique» ainsi que l’ensemble des informaticiens de la maison (mais tout de même pas les téléphonistes), soit au total près de 80 personnes.

Philippe Mottaz n’entend pas seulement faire passer les émissions sur le Net de manière à ce que les téléspectateurs puissent voir n’importe quelle émission à n’importe quel moment; il se réjouit aussi de pouvoir travailler avec des entreprises extérieures pour développer des projets de «convergence».

Quant à Gilles Marchand, il juge «possible» et même «souhaitable» que la TSR établisse des partenariats avec des groupes de presse écrite tels que Ringier (dont il a dirigé la succursale romande) ou Edipresse, «par exemple dans le domaine du multimédia». Il cite le partenariat Presse TV, qui réunit des médias alémaniques publics (SF DRS) et privés (Tamedia, Ringier). Pourquoi ne pas faire pareil en Suisse romande?

Le nouveau patron réfléchit par ailleurs à la possibilité de lancer une troisième chaîne qui serait dédiée aux retransmissions sportives. Mais il ne parle pas de «sa» télévision.