En apprenant les résultats du scrutin, Largeur.com a demandé un commentaire à son chroniqueur politique Gérard Delaloye. Mais le chroniqueur n’avait pas envie de réagir. Et puis, il nous a envoyé ces mots…
Je l’ai sentie arriver ce matin à 8h30 en me rendant au bureau de vote de Lausanne-Gare. Seul électeur présent, j’en ai été troublé au point d’ajouter un oui à «Rue pour tous», initiative que j’avais pourtant combattue publiquement! Du coup, j’ai aussi voté pour Denner. Puisque les drogueries ne vendent pas de drogues, autant que les supermarchés vendent des médics! Trois oui, histoire de contrer le vent dominant. Il est des jours où le masochisme politique est irrésistible.

En sortant, toujours seul, j’ai tenté un gag avec les scrutateurs. Tombé à plat: ils avaient dû se lever tôt pour surveiller des isoloirs vides.
La rédaction de Largeur.com me demande un commentaire sur le vote antieuropéen des Suisses. J’ai pas envie de commenter. Je suis fatigué de courir après la chimère européenne. L’Europe se fiche de la Suisse et la Suisse se fiche de l’Europe: pourquoi continuer à se casser la tête?
Mais une leçon de l’histoire me revient à l’esprit. J’y pense quand je prends l’autoroute de Berne et que je vois sur le bord de la route la borne portant la date de l’entrée de Fribourg dans la Confédération. 1481.
A chaque coup, cela me fait penser aux relations Suisse-Europe. Chacun se souvient que nous avons célébré le 700e anniversaire de la Confédération il y a dix ans. Or cet anniversaire est tombé treize ans après l’admission du dernier canton, le Jura, dans la Confédération! C’est dire à quel point un processus fédératif peut être lent: la Suisse s’est formée au fil des siècles et il en a fallu sept.
Même au sein de la Suisse primitive, une ville comme Gersau sur le lac des Quatre-Cantons a pu protéger ce qui était perçu comme un statut indépendant jusqu’en 1798. Pendant cinq siècles, au cœur des Waldstätten! Les conditions ne sont pas comparables avec celles d’aujourd’hui, mais la lenteur du mouvement de l’histoire incite à la réflexion.
D’un autre côté, pendant des siècles, de petits Etats ou des régions furent liés à la Confédération (ou à des membres de la Confédération) par des accords bilatéraux (traités de combourgeoisie). Ces accords, très nombreux, créèrent un espace suisse qui ne correspondait pas à l’Etat suisse et ne recouvrait pas la même étendue. Ainsi en alla-t-il de Genève et du Valais, de Neuchâtel et de Mulhouse, etc. Certains réussirent leur jonction avec la Suisse, d’autres pas. Ainsi, Mulhouse et le mont Blanc finirent par pencher du côté de Paris.
Quels que soient les commentaires, il est évident que par le non massif exprimé aujourd’hui, les Suisses, plantés au milieu de l’espace européen, sont décidés à ne pas entrer dans l’Union européenne. Ni demain, ni après-demain. Nous signerons des accords bilatéraux. On prendra un peu ici pour lâcher du lest là. Mais on restera, si l’on peut dire, au large…
Lorsque l’Europe aura intégré l’Est, et que retranchés sur nos rochers comme San Marino, Monaco ou Andorre, nous regarderons les pompes à fric tourner à plein, nous ne pourrons même pas regretter d’avoir vendu notre âme. Nous avons toujours eu un porte-monnaie à sa place.
