LATITUDES

A quatre dans un studio new-yorkais

Loyers vertigineux? Les habitants de Manhattan sont passés maîtres dans l’art de la cohabitation. Même mon voisin de palier…

Je me suis souvent demandée ce qui poussait les New Yorkais à s’installer des heures durant avec leur ordinateur portable à une table de Starbucks – cette chaîne de cafés qui connaît un essor sans précédent depuis 1995 et qui vient d’inaugurer son premier établissement européen à Zurich).

Est-ce leur goût immodéré pour les breuvages caféinés aux arômes les plus insolites? Un snobisme particulier consistant à s’afficher en public avec le dernier né des laptops? Ou un nouveau moyen de drague, plus efficace que les soirées de célibataires?

Je penchais pour la troisième option (les Starbucks sont au moins aussi conviviaux que les clubs de gym) quand une amie plus terre-à-terre m’a ouvert les yeux. «Ils viennent ici parce qu’ils n’ont pas assez de place chez eux, pardi!»

C’est une évidence. Lassés de chasser l’appartement abordable (le moindre studio de 12 mètres carré se négocie au prix-plancher de 2000 francs suisses, soit 8000 francs français), les New Yorkais sont passés maîtres dans l’art de la cohabitation. Et le «flatmate» anglais (colocataire) est devenu «roommate»: littéralement le «partenaire de chambre».

Et s’il ne s’agissait que de collégiens partageant à cinq ou six des appartements de deux pièces! Non, à New York, la colocation est un mode de vie aussi répandu que, disons…. le célibat. Il n’est donc pas rare de rencontrer ces «young professionals» au revenu honnête s’entassant à quatre ou cinq dans de minuscules trois pièces (il y a toujours un préposé pour le canapé du salon), faute de trouver un appartement adapté à leurs moyens.

Et ce n’est pas non plus la bande de copains ou de copines décidant de vivre ensemble en attendant des jours meilleurs – voire un crash à Wall Street. Le plus souvent, ce sont de parfaits inconnus qui cohabitent. Je me souviens de cette amie milanaise, Gemma, architecte, la trentaine, vivant avec trois inconnus dans le même bloc que moi. Elle me suppliait de laisser des messages en italien sur son répondeur pour éviter que les roommates auprès desquels elle s’était engagée à rester pour un «long term» ne comprennent qu’elle n’avait qu’un désir: trouver mieux au plus vite. Elle vit aujourd’hui à Brooklyn, à 45 minutes en métro de son lieu de travail.

Mon voisin de palier, Paolo, journaliste employé par le site d’un journal new-yorkais réputé, a été contraint lui aussi à prendre des roommates. Il vient de trouver deux jeunes filles, stagiaires aux Nations-Unies, qui partagent sa chambre de 3 mètres sur 3, pendant qu’il dort sur le canapé-futton de son salon-bureau…

C’est vrai qu’il ne s’agit pour lui que d’un «short-term», le temps d’économiser l’argent nécessaire pour reprendre des études. Je lui avais laissé les clés de mon appartement pour qu’il s’occupe de mon courrier pendant mes absences; il m’a avoué récemment s’être installé des soirées entières dans mon salon pour profiter de quelques heures au calme.

Et Paolo n’est pas celui qui s’en sort le moins bien. Il n’est pas rare de trouver des annonces dans le Village Voice (la bible des gauchistes new-yorkais et les meilleures petites annonces de la ville) pour un roommate voulant partager une chambre avec un travailleur de nuit… A quand les trois huit?

Le phénomène est tellement répandu que vous pouvez désormais chercher votre colocataire par internet (par exemple sur www.1800roommate.com ou www.easyroommate.com). Vous précisez vos préférences: male ou female, smkg-nsmkg (pour ceux allergiques à la fumée), etc…

Le meilleur des arrangements possibles ne règle pourtant pas le problème principal: l’espace. Du coup, on en vient à vénérer des chaînes comme Starbucks simplement parce qu’elles permettent à leurs clients de rester attablés des heures entières, avec une simple tasse de café…