KAPITAL

L’aventure vertigineuse d’une startup nommée Fantastic

Emblème suisse de la nouvelle économie, la société de Peter Ohnemus a connu l’euphorie, puis l’écrasement en bourse. C’est dans ses locaux de Zoug que se prépare la TV de demain.

Il y a tout juste une année, le crash du Nasdaq marquait la fin de la vie facile pour les entreprises de la nouvelle économie. Et pas seulement aux Etats-Unis. A Zoug, la société Fantastic a été stoppée net dans une croissance qui s’annonçait à la hauteur de son appellation.

L‘entreprise avait tout pour elle. De jeunes fondateurs inspirés et sympathiques; un produit destiné à la prochaine génération d’appareils multimédia; un nom qui met des étoiles plein les yeux. Et comme pour assurer la transition entre tradition helvétique et nouvelle économie, Fantastic avait offert son siège de directeur général à Reto Braun, le patron de la Poste.

Le Bâlois Peter Ohnemus, fondateur de l’entreprise en 1996, était sûr de son produit. «Notre but est de devenir l’équivalent de Microsoft dans le multimedia à large bande», disait-il avant la chute du Nasdaq.

La large bande (broadband), c’est la technologie qui permet la transmission simultanée d’une énorme quantité de données, par exemple pour les téléphones portables du futur qui recevront des images et des videos, ou pour les écrans mobile de télévision et d‘ordinateur.

Fantastic a conçu des logiciels capables d’associer, dans le même système, la télécommunication et la télévision. Greffer la fonction e-mail sur MTV par exemple. Le produit de la société zougoise permet de transmettre des données multimédia en utlisant le câble, la radio ou le satellite.

Cette prouesse technologique fait l’unanimité, et cela aujourd’hui encore. Mais depuis l’an dernier, les investisseurs reprochent à la société de développer des produits qui manquent de débouchés commerciaux.

Le grand décollage de Fantastic a eu lieu en 1999. C’est l’année où l‘entreprise entre en bourse sur le nouveau marché allemand. Sa valeur atteint le chiffre astronomique de 1,3 milliard d’euros (2 milliards de francs suisses). Alors que l’entreprise – toujours dans les chiffres rouges – réalise à peine 25 millions d’euros (37,5 millions de francs suisses) de chiffre d’affaires. C’est l’ivresse. Les actionnaires sont millionnaires.

La presse internationale s’enflamme. Le magazine américain Fortune parle du «rêve de la nouvelle économie» tandis que le Capital allemand désigne Ohnemus comme «le roi d’internet». Les géants que sont Intel, Deutsche Telekom et Reuters investissent des millions de dollars dans l’entreprise.

Alors que Fantastic semble sur orbite, Ohnemus quitte la direction. Son successeur, Reto Braun, qui vient de quitter le géant jaune, s’installe dans les quartiers généraux de Zoug. Son expérience doit permettre à la société d’aborder sereinement la phase de croissance. L’effectif passe à plus de 350 personnes.

En mars 2000, c‘est l’effondrement du Nasdaq et l’assèchement quasi instantané des investissements de la branche. Le développement des systèmes à large bande est remis à des jours meilleurs. Emise à 4,5 euros (6,75 francs suisses), l’action Fantastic est montée jusqu’à 53,5 euros (80,25 francs), avant de s’écraser à 1,47 euro (2,2 francs).

Ohnemus n’est pas de ces entreprenautes qui ont vendu leur titres au bon moment pour partir s’installer aux Bahamas. Toujours propriétaire de 6,5% du capital, il est resté président du conseil d’administration.

Un titre qui a perdu 90% de sa valeur n’intéresse plus vraiment les analystes. La banque néerlandaise ABN AMRO ou la Banque Cantonale Bâloise ont cessé de suivre la société en décembre dernier. Et les fidèles ne sont guère enthousiastes. «Fantastic présente un risque très élevé. Les produits correspondent à un marché – la transmission par large bande – qui n’existe pas encore. Et ils ne visent pas la consommation de masse», relève René Langensand, analyste chez Vontobel.

Les résultats de l’exercice 2000 sont catastrophiques. Les pertes s’élèvent à 100 millions de francs. Pire, le chiffre d’affaires diminue d’un quart, à 25,5 millions de francs. La direction se résoud à sacrifier un tiers du personnel. Pour les quelque 250 employés restants, les poches pleines de stock options désormais sans valeur, c’est le blues assuré.

«Jusqu’à la chute du Nasdaq, l’ambiance était complètement euphorique, raconte Jürg Bollag, responsable des relations avec les investisseurs chez Fantastic. Mais ensuite, des clients prêts à signer ont différé le contrat et les ventes se sont effondrées.»

L’avenir de Fantastic dépend maintenant de la vitesse à laquelle le marché de la large bande va se développer. Les observateurs s’accordent pour parler d’un formidable potentiel. Le volume du marché, estimé actuellement à 24 milliards de francs, doit être multiplié par dix dans un délai de trois ans. Mais quand le mouvement va-t-il démarrer?

Malgré sa situation précaire, Fantastic multiplie les partenariats.IBM a adopté les logiciels de la société zougoise au détriment des siens propres. Et le mois dernier, la firme a conclu un accord avec Hewlett-Packard pour la diffusion de ses produits. Un gage de confiance. «Ca fait plaisir… mais ça ne rapporte pas d’argent», soupire Jürg Bollag.

Actuellement, Fantastic travaille sur un projet de télévision interactive avec les poids lourds allemands que sont la chaîne ZDF et Deutsche Telekom.

Dans la course à la large bande, les entreprises gagnantes seront celles qui auront les reins assez solides pour fonctionner jusqu’à ce que le marché soit mûr.Les liquidités dont dispose Fantastic doivent lui permettre de tenir de 12 à 18 mois.