Epargnée depuis 1993 grâce à la couverture onusienne, la région s’enflamme et menace à nouveau la stabilité des Balkans.
Ce que tout le monde craignait depuis longtemps est en train de se produire: la guerre s’installe en Macédoine. Il aura fallu dix ans pour que la guerre, déclenchée en Slovénie en été 1991, poursuivie en Croatie, en Bosnie-Herzégovine, au Kosovo et en Serbie, achève sa sinistre ronde des anciennes provinces de la Yougoslavie de Tito. Et dire qu’il fut un temps pas si lointain où cette Yougoslavie (et son autogestion) catalysait les espoirs du Tiers Monde et tenait la dragée haute à Washington, Moscou et Pékin!
A chaque coup, les conflits deviennent un peu plus importants. Les ingérences étrangères, discrètes au début, ont inexorablement glissé vers des interventions très musclées pour finir par les bombardements de l’OTAN sur la Serbie et le Kosovo en 1999. Aujourd’hui, le risque de dérapage généralisé à tous les Balkans est incandescent.
Une histoire tragique
Pour en saisir la portée tragique, une brève mise en perspective historique s’impose. De tous les Etats balkaniques, la Macédoine (son nom n’est pas passé pour rien dans le langage culinaire!) est le plus composite. Dans les années 1920, quand les cartes ethniques étaient à la mode, il était pratiquement impossible d’en dresser une pour la Macédoine où pratiquement chaque village était formé de populations différentes: macédoniens, serbes, albanais, roumains, tsiganes, grecs, bulgares, turcs.
Les vicissitudes de l’histoire ont «épuré» la région au point que deux groupes principaux cohabitent aujourd’hui dans le pays: les Albanais et les Macédoniens, une population d’origine slave parlant une langue dérivée du bulgare. Les statistiques ne sont pas claires, mais il y aurait un tiers d’Albanais pour deux tiers de Macédoniens.
Conquise par les Turcs en 1389, la Macédoine reste sous la coupe ottomane jusqu’en 1912. Aussitôt, la Serbie et la Grèce se partagent la province. Pendant les deux guerres mondiales, la Bulgarie absorbe la partie serbe. Ces occupations, quoique brèves, alimentent aujourd’hui encore des fantasmes irrédentistes bulgares. En 1946, elle est intégrée à la nouvelle Yougoslavie et en devient, en 1974, une des Républiques constitutives à part entière au grand dam des nationalistes serbes.
Une indépendance contestée
En 1991, la Macédoine proclame son indépendance, mais se heurte à la Grèce qui refuse qu’elle porte le nom de Macédoine pour qu’aucune confusion ne soit faite avec la province grecque du même nom et l’ancien royaume d’Alexandre le Grand. La Bulgarie manifeste sa désapprobation en reconnaissant l’Etat macédonien, mais pas la nation ni la langue qui, pour Sofia, sont purement et simplement bulgares.
Un regard sur la carte montre que qu’en somme la Macédoine est entourée de voisins dont la voracité à son égard dépend des fluctuations politiques. Cela n’a pas échappé aux Américains qui, dès le début de la crise yougoslave, ont pris en main le sort de la jeune république. Sous couverture onusienne, des troupes américaines ont patrouillé dès 1993 à la frontière avec le Kosovo. Jusqu’à la semaine passée, cette vigilance s’était révélée payante: maillon ultra faible de l’ancienne Yougoslavie, la Macédoine avait été épargnée. Qu’en sera-t-il demain?
La question albanaise
A première vue, la flambée de violence à laquelle nous assistons devrait être résorbée rapidement, le gouvernement de la Macédoine ayant encore beaucoup de lest à lâcher pour apaiser les revendications albanaises. Mais un traitement local est-il encore possible?
La question albanaise reste posée au Kosovo dont l’indépendance n’est toujours pas reconnue. Elle se pose aussi dans le sud de la Serbie où l’UCK a fait le coup de feu au cours de ces dernières semaines. Avec la Macédoine, cela fait beaucoup. En principe l’OTAN devrait avoir les moyens de maîtriser la situation. Elle dispose de 40’000 hommes entre le Kosovo et la Macédoine. Mais il suffirait d’une incident grave pour que l’explosion soit générale.
Exemple: vendredi 16 mars, la caserne de Tetovo («capitale» des Albanais de Macédoine) est prise sous le feu de l’UCK. Cette caserne abrite un millier de soldat allemands de la KFOR. Pendant la nuit, Rudolf Scharping, ministre allemand de la Défense, décide en toute hâte de transférer une partie de ses hommes ailleurs et samedi matin, il envoyait des blindés protéger les 600 hommes restés à Tetovo. Mieux vaut ne pas imaginer ce qui se serait passé si l’attaque de l’UCK avait provoqué la mort de quelques dizaines de soldats allemands! D’autant plus que le fait que la décision ait été prise par Scharping prouve qu’il n’y a pas de commandement unifié, ce qui, en matière militaire, est catastrophique.
La position de l’OTAN au Kosovo n’est pas claire du tout. Elle ne repose sur aucune base légale et les juristes ne cessent de la discuter en la décortiquant. Même les militaires s’interrogent sur sa légalité. La position de l’OTAN est de surcroît fragilisée par les réticences de l’administration Bush face à des engagements à l’étranger. Pendant la campagne électorale, Bush Jr avait fait comprendre qu’il n’avait pas l’intention de maintenir les troupes américaines dans les Balkans, jugeant plus adéquat de déléguer ces responsabilités à l’Europe. La semaine dernière, il a déjà retiré près d’un millier de soldats américains stationnés dans le coin.
L’Europe piégée
L’Union européenne est donc au pied du mur. Une aggravation du conflit la contraindrait à prendre la responsabilité militaire et diplomatique de sa résorption. Cela suppose que l’objectif d’une intervention militaire visant à protéger les Slavo-macédoniens passe par la désignation d’un objectif clair, admis par tous et marquant si possible la fin de la recomposition balkanique. Cela pourrait se traduire par la constitution d’une hypothétique fédération albano-slavo-macédonienne incluant aussi le Kosovo. Ou bien, plus probablement, d’une fédération albanaise regroupant le Kosovo, l’Albanie et la partie albanaise de la Macédoine. Mais une simple réflexion sur ces alternatives en démontre la difficulté. Le casse-tête balkanique ne sera pas résolu demain. Hélas!
