Chaque semaine, Christophe Gallaz attrape au vol une expression liée à l’actualité. Aujourd’hui: une histoire d’attitude.
L’«urban attitude» est une locution française, comme on l’imagine, autrement dit d’origine latine, dont le Littré, publié pour la première fois entre 1863 et 1872, précise les détails: elle dérive de l’adjectif latin «urbanus», autrement dit «de la ville», terme tiré du substantif «urbs» qui désignait la cité de Rome, et du latin populaire «actitudo» – vocable émanant lui-même du bas latin «aptitudo», qui signifiait «l’aptitude».

Selon le fameux dictionnaire, cette expression désignait à l’origine un ensemble de comportements et d’apparences, notamment vestimentaires, dont les Romains s’étaient fait un code extrêmement subtil de reconnaissance et de cooptation sociales. Nous sommes alors au tournant de l’ère chrétienne.
Puis l’Histoire dévide son fil, le Bas-Empire romain d’Occident s’effondre sous la poussée des invasions barbares en 476, le Moyen Age advient et quelques villages surgissent sur la carte géographique européenne. D’entre eux citons les troisième et dix-huitième arrondissements à Paris, le quartier de Brixton à Londres, une portion limitée de la banlieue nord de Marseille, la brève commune de Saint-Gilles jouxtant Bruxelles, et quelques décamètres de l’avenue du Mont-Blanc à Genève.
En ces lieux, dans le dernier tiers du XXe siècle, règne ce que des spécialistes nommeront plus tard la «rural attitude»: quelques milliers d’adolescents, terrifiés par les progrès fulgurants de la modernité, cherchent à recomposer des groupes homogènes au travers de postures arriérées propres à ressusciter, à leurs yeux, la cellule et la hiérachie clanique perdue.
Vêtus d’habits suffisamment amples pour évoquer le style rustique ancien, usant d’un vocabulaire à mi-distance de l’onomatopée postcambrienne et de la monosyllabe broyarde, et signalant leur connivence au gré de quelques gestes réduits à leur minimum sémantique, ils rétablissent alors la pratique médiévale de la conversation collective organisée de manière interminable sous le tilleul villageois, que les experts qualifient généralement de «palabre infratiliacé».
Les choses en sont là. Jamais les troisième et dix-huitième arrondissements à Paris, le quartier de Brixton à Londres, la portion précitée de la banlieue nord de Marseille, la brève commune de Saint-Gilles jouxtant Bruxelles, et quelques décamètres de l’avenue du Mont-Blanc à Genève, ne rejoindront en sophistication citadine celle qui caractérisa la Rome antique ou précédemment la Grèce de Périclès: la notion de ville était alors miraculeusement conjointe, en effet, au double exercice de l’intelligence collective et de la démocratie.
Les pratiquants de la «rural attitude» actuelle le savent qui cultivent, faute de rejoindre jamais cette «urban attitude» épanouie jadis, et dont le mythe est désormais patiné par les siècles, une surenchère mélancolique des indices régressifs. Les branchés hype techno cool, les rappeurs en survêt’, les skateurs shortés mégalarge et les rastas complètement rebelles se multiplient donc désespérément dans nos ruelles. Or vous n’y pourrez rien, mes petits. Les royaumes perdus le sont pour toujours.
