C’est vrai, c’était facile et léger, mais je m’y retrouvais: le journal de Bridget Jones, écrit par Helen Fielding il y a cinq ans, disait en pouffant, dans une écriture de plage, beaucoup de l’univers futile féminin. L’obsession des kilos en trop, la joie d’en perdre et les trop belles occasions d’en reprendre. Les rêves jamais vrais d’être aimée par un Superman beau ET intelligent. De faire un mariage de princesse avec un monstre gâteau, des gens heureux et la robe de Lady Di.

Bridget n’y est pas arrivée, la plupart des femmes non plus, mais «Le Journal de Bridget Jones», c’était une manière de rire aux éclats de nos désillusions, tout en se disant que sa petite robe noire de chez Marks et Spencer, finalement, elle nous irait assez bien pour l’été prochain.
A peine arrivée à Londres, j’ai relu Bridget Jones. Pour ne rien perdre de son univers, géographique cette fois-ci. Harvey Nichols, Selfridges, la galerie Saatchi et sa façon conceptuelle de considérer l’angle artistique d’une cuvette de WC, les bars de Notting Hill pour y boire un verre de Chardonnay à la sortie du boulot. Je la sentais vivre ici, cette célibataire contemporaine.
J’ai donc couru voir «Bridget Jones’s Diary», le film adapté du roman par Sharon Maguire, sorti ce week-end de Pâques à Londres. L’affiche était pleine de promesses: la réalisatrice inconnue est en fait l’amie d’Helen Fielding, celle qui a servi de modèle pour le personnage de Shazzer, la confidente hyper-féministe. Mark Darcy, l’avocat-prince charmant, est joué par Colin Firth, ce même acteur britannique que les filles du roman ne se lassent pas d’admirer en vidéo. On allait se retrouver entre célibattantes et sympathisantes, ça allait être forcément sympa.
Forcément? Pas vraiment. J’avais choisi le cinéma Empire, près de 2000 places sur Leicester Square. Et malgré les rires et les applaudissements d’un public visiblement heureux, je me suis sentie frustrée. C’est sûr: Hollywood nous a piqué Bridget Jones.
Le film est une comédie très drôle qui délasse les Londoniens stressés. Il amusera le reste des urbains, ailleurs, sans aucun doute. Pour son premier weekend d’exploitation, il a gagné 7 millions de livres sterling, battant tous les records du cinéma britannique. Toutes les situations cocasses du livre sont jouées par des acteurs bien dressés à faire rire. Mais que sont devenues ces références au monde féminin qui nous ont fait tant de bien?
Renée Zellweger est une brillante Bridget, sachant chanter faux pour la soirée du boulot et exhiber son corps boursouflé pour le film dans un déguisement ridicule de lapin à la soirée «pasteur et catin». Hugh Grant fait un Daniel Cleaver assez réussi dans son rôle de macho et Colin Firth s’en tire bien pour sa première apparition de poids au cinéma.
On apprécie la petite incursion rigolote de Salman Rushdie dans son propre rôle lors d’une soirée littéraire de la maison d’édition où travaille Bridget. A peu de choses près, le scénario respecte le livre.
Mais le cinéma n’a vu dans cette histoire-là qu’une comédie digne de succéder à «Quatre mariages et un enterrement» ou à «Coup de foudre à Notting Hill». Bridget devient un personnage naïf, dépassé par le jeu des hommes, qui assiste passivement à un duel de mâles disputant son lit de célibataire. Un coup d’acteur, Hugh Grant contre Colin Firth.
Plus rien à voir avec ces discussions de gynécée où les hommes sont les victimes du regard acerbe et définitif des filles. Au cinéma, on ne comprend pas pourquoi Bridget tombe finalement amoureuse de cet avocat froid qui a fait la gueule pendant toute la première moitié du film. Tss, Hollywood n’a vraiment rien compris aux filles.
Quant aux références géographiques si chères à la romancière, c’est un peu comme si «Grichka et les loups» était tourné en studio: Londres n’apparaît que sous ses emblèmes les plus reconnaissables outre-Atlantique. Et la plupart des scènes sont tournées sous une neige bien étrangère aux Londoniens.
Raté donc pour les fans du club Bridget. On se console en se disant que le film réussira peut-être où le roman a souvent échoué: faire rire les hommes.