Dans les prochains mois, on va beaucoup entendre parler de la reconstitution cinématographique du terrible cabaret parisien. Mais qui connaît l’histoire authentique de ce temple du music-hall?
Le très attendu «Moulin Rouge» de Baz Luhrmann sera projeté en première mondiale le 9 mai 2001 à Cannes, en ouverture du Festival.

Dans cette comédie musicale glamour, un jeune poète sans le sou (Ewan Mc Gregor) est entraîné par Toulouse-Lautrec (John Leguizamo) dans les extravagantes nuits montmartroises. Il y tombera amoureux de Satine (Nicole Kidman), meneuse de revue et courtisane. Mais le Duc, un riche aristocrate (Richard Roxburgh), est aussi sur les rangs…
Voilà pour l’argument. En ce qui concerne l’époque, le réalisateur australien a annoncé des libertés par rapport à la réconstitution historique, notamment dans le choix de la musique. Des artistes comme Beck, Timbaland et Fatboy Slim ont participé à la bande originale.
L’occasion, en attendant la sortie du film sur les écrans le 17 octobre, de feuilleter quelques pages de l’album de famille de ce légendaire Moulin.
C’est en octobre 1889, année de l’Exposition universelle, que Joseph Oller, inventeur du PMU, ouvre avec Charles Zidler comme directeur le Moulin Rouge sur la Butte Monmartre. Joseph Oller lance plusieurs salles de légende, dont le fameux Olympia, boulevard des Capucines, en 1893. La Butte Montmartre est alors une banlieue et beaucoup de cabarets sont d’anciens moulins ou hangars. Joseph Oller ne parle pas anglais mais il sait qu’en anglais hangar se traduit par «hall». Le music-hall est né.
L’ouverture du Moulin Rouge coïncide avec le début de la Belle Epoque (1889-1914) dont il reste une des plus brillantes illustrations. La Belle Epoque: fin du temps de la culture élitiste et annonce de la culture de masse. Et surtout recherche de sensationnel, d’extravagance, d’outrance.
1889, c’est l’inauguration du métro parisien et le début de l’Art Nouveau (1890-1905), premier style qui ne puise pas ses origines exclusivement dans l’histoire européenne mais mêle allègrement les styles gothiques et orientaux.
Jusqu’à la Belle Epoque, il n’existait pas d’endroit où les différentes classes sociales étaient mêlées pour s’amuser. Avec les café-concerts, les cabarets, les beuglants, il devenait enfin possible pour un aristocrate et pour un ouvrier de se trouver à la même table. Et puis, ils pouvaient entrer, sortir, boire et parler comme ils voulaient.
Le Moulin Rouge connaît un succès immédiat: tous les soirs, la haute société, des peintres et des écrivains mais aussi les mauvais garçons et les filles des quartiers mal famés viennent assister au fameux french cancan. A partir du quadrille, danse très en vogue depuis 1850, c’est Nini Patte en l’Air, au nom évocateur, qui va inventer cette danse sur la musique de Jacques Offenbach.
Le french cancan est inspiré des danses des blanchisseuses, qui exhibent joyeusement leurs jupons propres, repassés et affriolants. Comme le breakdance le sera plus tard, il s’agit d’abord une danse des banlieues, une danse anticonformiste, une manière de s’extérioriser, dont le but initial n’est pas de séduire ou de choquer le bourgeois. C’est une danse exclusivement féminine, dans laquelle sont ritualisés le grand écart, l’art de montrer sa culotte et de soulever ses dentelle.
Toulouse-Lautrec, fidèle client et agitateur du Moulin Rouge, a immortalisé les plus célèbres meneuses de revue qu’étaient La Goulue et Jane Avril, surnommée Fil de Soie, dans des affiches qui restituent bien le décor hétéroclite et révolutionnaire crée par Wilette, et surtout l’atmosphère d’ivresse et d’exaltation du cabaret. Toulouse-Lautrec mourra en 1901, à 36 ans, détruit par l’alcool, dont il cachait une fiole jusque dans sa canne.
Les danseuses de cancan portaient toutes leur «petit nom», des noms aussi légers et farfelus que l’esprit de l’époque : La Folette, Galipette, Gavrochette, La Grenouille, Vol au Vent, La Môme Caca, etc….
Le Guide des Plaisirs de Paris de 1898 les décrit comme «une armée de jeunes filles qui sont là pour danser ce divin chahut parisien, avec une élasticité lorsqu’elles lancent leur jambe en l’air qui nous laisse présager d’une souplesse morale au moins égale…».
Souplesse morale en effet puisque les prostituées ont joué un grand rôle dans l’introduction du music-hall. Elles n’étaient plus seulement dans la salle mais sur scène, chantant aussi les soucis du peuple et des pauvres. Facilement obscènes et provocantes, elles étaient un symbole pour la société du peuple.
Plus sophistiquées étaient les courtisanes. Elle n’avaient pas d’identité tout en en ayant beaucoup puisqu’elles adoptaient plusieurs personnalités afin de réaliser les fantaisies sexuelles de leur clientèle, jouant aussi bien la femme honnête ou la nymphomane. Actrices à tout point de vue, elles ont fait de la prostitution une forme de théâtre à la scène et à la ville.
Mais au Moulin Rouge, il n’y avait pas que du cancan et des chansons: tout ce qui pouvait alimenter le goût de l’époque pour l’outrance, le cirque, le danger, le théatre, la danse, était réuni dans des revues plus farfelues les unes que les autres, et le spectacle était alors autant sur scène que dans la salle.
Cet esprit de plaisir, d’excès et de gaité, cette Belle Epoque, s’achèvera à la veille de la Première Guerre. Aujourd’hui le Moulin Rouge existe toujours et propose, au prix fort, des dîners spectacles au titres évocateurs: le menu Cancan, le menu Toulouse-Lautrec, le menu Belle Epoque.
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Manon Pulver vit à Genève. Elle est membre de l’équipe de Largeur.com et travaille pour différentes compagnies théâtrales.
