La question européenne semble éloigner Paris de Berlin. Mais le plus étonnant dans ce chassé-croisé franco-allemand est que, pour le moment du moins, ni les uns ni les autres ne parlent de l’euro…
La mésentente franco-allemande sur la question européenne montre une fois de plus combien il est difficile d’édifier une construction politique nouvelle par le simple jeu des accords et des traités. Cette démarche volontariste imposée par l’irrésistible accélération de la mondialisation est historiquement tout à fait originale. Il n’y a pas de précédent.
Les unités italienne et allemande se sont faites à la pointe des baïonnettes, le fédéralisme américain à la suite d’une guerre d’indépendance, celui de la Suisse comme résultat d’une guerre civile. L’Europe, elle, se construit démocratiquement autour du tapis vert. C’est sa grandeur mais aussi sa faiblesse.
La démocratie suppose des élections.
Parce que son économie ne marche pas trop bien et que le chômage tarde à reculer, le chancelier Schröder s’est décidé à jouer la carte européenne comme atout pour les élections de l’automne 2002. Pour offrir un modèle à l’Europe de ses rêves, il n’est pas allé chercher très loin: l’Allemagne est un Etat fédéraliste et le chancelier ne fait que projeter les grandes lignes constitutionnelles qu’il connaît bien au niveau européen.
Ses propositions lui valent une large approbation tant chez ses partenaires Verts que chez les démocrates-chrétiens tout simplement parce qu’elles correspondent à leur manière de considérer la politique. De surcroît, l’Etat allemand n’a jamais été figé dans un contour précis. Au cours des 140 ans de sa brève histoire, il a connu des hauts et des bas, des extensions et des replis.
Que Lionel Jospin tique n’est pas surprenant non plus. La gauche française est centralisatrice, républicaine dans le sens où la République n’est pas conçue comme un conglomérat de provinces disparates mais bien comme un tout unifié, unitaire et unidimensionnel. De culture marxiste et jacobine, Jospin ne peut s’enthousiasmer ni pour le fédéralisme (réputé classiquement de droite malgré l’expérience fédérative de la Commune de Paris en 1871) ni pour l’Europe dont la seule existence est une mise en cause de la souveraineté, attribut essentiel de l’Etat. Il se trouve un peu dans la même situation que la droite helvétique avec son armée: chacun se rend compte qu’elle est dépassée mais personne ne peut y toucher parce que cela reviendrait à abattre le mur porteur de l’édifice.
Jospin est à la veille d’élections cruciales. Or faute d’avoir pu ou su préparer son électorat à des échéances européennes, il est condamné pour l’année qui vient à reléguer cette problématique aux oubliettes. Il n’y a rien à attendre de la réponse promise aux propositions de Schröder sinon quelques professions de foi aussi vigoureuses que peu contraignantes. Je pense d’ailleurs que la droite, si elle était au pouvoir, aurait fait de même. Il n’y a pas chez les chiraquiens d’Européens convaincus et l’on ne voit pas chez les libéraux de successeurs à un Raymond Barre.
Le plus étonnant dans ce chassé-croisé franco-allemand sur l’Europe est que, pour le moment du moins, ni les uns ni les autres ne tiennent compte du seul facteur qui comptera l’année prochaine pour leurs électeurs: l’introduction de l’euro.
Le choc sera terrible et les citoyens complètement désorientés. On l’a vu dans de récentes enquêtes, ni les Français, ni les Allemands ne sont techniquement prêts à cette mutation. Si la gabegie monétaire s’installe, même provisoirement, les pans les plus âgés de l’électorat vont se retourner vers les extrémistes souverainistes, de droite en Allemagne, de droite et de gauche en France. C’est dire que les fines stratégies électorales vont être bouleversées.
L’intelligence politique de Schröder est de précéder ce drame annoncé en canalisant les émotions vers un important pas en avant des institutions européennes. La faiblesse de Jospin est de se replier sur le pré carré de ses certitudes hexagonales et de faire le lit des souverainistes, qu’ils s’appellent Laguiller, Chevènement, Pasqua ou Le Pen.
