Le Cavaliere avait des raisons de rire jaune dans la nuit de dimanche à lundi. Il a commis une erreur colossale. Et ses alliés sont devenus ses ennemis.
Silvio Berlusconi a gagné. C’est entendu. Mais au cours de la nuit de dimanche à lundi, son fameux sourire a dû se figer quelques fois en rictus à mesure que les résultats tombaient. Le Cavaliere n’a pas remporté le succès que l’énergie et la fortune dépensées au cours de la campagne électorale étaient censées lui rapporter. Loin de faire un triomphe au magnat des médias, les électeurs l’ont élu du bout des doigts.
Certes, il va disposer d’une large majorité parlementaire tant au Sénat qu’à la Chambre des députés en raison du système électoral qui, majoritaire à 75%, donne une forte prime au vainqueur.
Mais l’Italie n’est pas un pays qui ne se gouverne qu’avec une majorité parlementaire. Les travailleurs y sont bien organisés dans des centrales syndicales capables de les faire descendre par centaines de milliers dans les rues des grandes villes dès que l’on menace leurs acquis. En 1994, Berlusconi fut confronté à diverses reprises à des manifestations monstres qui contraignirent son gouvernement à plus de modération en matière de libéralisme.
Or, c’est la première leçon du scrutin, la gauche n’a pas cédé devant Berlusconi. L’affirmation électorale de Sua Emittenza et de son parti Forza Italia s’est faite au détriment de ses alliés de droite. Sans mordre sur la gauche. On en trouve l’indication dans les éléments proportionnels du scrutin pour la Chambre des députés: Forza Italia a gagné 9% par raport à 1996, mais Alliance Nationale a perdu 4% et la Lega 6%.
Au moment où j’écris ces lignes, lundi en fin de soirée, le parti d’Umberto Bossi n’est pas encore certain d’atteindre le quorum de 4% indispensable pour entrer au parlement.
Ainsi, en terme de voix, l’élection au Sénat donne 42,5% à la droite contre 38,7% à l’Olivier et 5% à Rifondazione communista, le reste étant dispersé sans atteindre le quorum. Cela donne paradoxalement une majorité de suffrages à la gauche qui paie ainsi lourdement sa désunion!
Mais c’est au sein même de sa coalition que Silvio Berlusconi, en gagnant trop, en attirant trop de voix vers Forza Italia, s’est fait les ennemis les plus déterminés et les plus dangereux. Ils s’appellent Gianfranco Fini et Umberto Bossi.
Fini ne peut pas laisser passer ce scrutin sans réagir. Son parti, l’Alliance nationale, créé de toutes pièces sur les dépouilles du post-fascisme, a été conçu sur mesure pour servir la carrière de son fondateur. Comme il vient de perdre près d’un tiers de son électorat en s’effaçant devant la personnalité de Berlusconi qui, ne l’oublions pas, a interdit à ses partenaires de mettre leurs frais minois sur les affiches électorales, il sera contraint de retrouver son autonomie pour survivre et passer le cap des prochaines élections. Cette situation est grosse de tensions qui ne manqueront pas d’affaiblir le futur gouvernement.
La survie est déjà une question d’actualité immédiate pour Umberto Bossi, le fougueux dirigeant de la Lega dont l’opportunisme politique n’est plus à décrire. Il s’était rallié à la coalition de la Maison des Libertés pour sauver l’existence électorale de son parti. L’effondrement électoral de son parti est «atroce» a dit un de ses dirigeants. Dans ces cas-là, Bossi ne réfléchit plus, il agit d’instinct, comme un animal blessé. Et sa capacité de nuisance est très grande. Sans grand risque d’erreur, on peut prévoir qu’il ne fera pas de vieux os dans la coalition gouvernementale, si tant est qu’il s’y engage.
En phagocytant l’électorat de ses alliés, en imposant une trop grande personnalisation de la campagne et du vote, Berlusconi a commis une erreur tactique qui va hypothéquer sa longévité politique. Dans un pays comme l’Italie, la droite est suffisamment conservatrice, voire immobiliste, pour empêcher toute réforme sérieuse.
Berlusconi pourra certes lancer les grands chantiers toujours bons à prendre pour les entrepreneurs, mais il ne pourra pas faire grand chose en matière de justice et d’ordre public, de santé ou de prévoyance sociale.
Cela fait beaucoup de handicaps pour un homme. Comment aspirer à diriger durablement une des grandes puissances économiques mondiales avec une mentalité de vendeur de brosse à dents tout en faisant front à la méfiance hostile des partenaires étrangers, à l’opposition déterminée de la gauche et à la haine sournoise de ses propres alliés?
