CULTURE

Air, nouvelles plages explorées avec Beck

C’est le disque le plus attendu du printemps. «10’000 Hertz Legend» présente le duo versaillais dans un environnement inédit, entre murmures et valium.

Dans le désert du Nevada, deux hommes se tiennent derrière la baie vitrée d’une station de réception. On pourrait les prendre pour des ingénieurs de la Nasa en observation géologique. Ou alors pour des millionnaires prêts à faire sauter la planète dans une mauvaise parodie de «James Bond».

Cette image, signée Ora-Ito, figure sur la pochette de «10’000 Hz Legend», nouvel album du groupe Air*. Et les deux hommes qui posent fièrement derrière la baie vitrée en sont les musiciens. Nicolas Godin et Jean-Benoît Dunckel ont quelques raisons de bomber le torse. En quatre ans, ils ont réussi à sonoriser la plupart des centres urbains du monde occidental. On peut entendre leurs disques chez les rebelles du snowboard comme chez les quadras libéraux, chez les mélomanes fumeurs de pétards comme au supermarché.

Rares sont les groupes qui ont séduit autant de tribus à la fois. En trois albums («Premiers Symptômes», «Moon Safari» et «Virgin Suicides»), le duo versaillais a inventé une nouvelle forme de musique immersive, selon la définition de David Toop, auteur de l’excellent essai «Ocean Of Sound». Une musique sans écueil.

Jusqu’ici, Godin et Dunckel soignaient tout particulièrement leurs harmonies et leurs arrangements (lire cialis cheap australia leur interview par Largeur.com). Le confort d’écoute semblait être leur unique objectif, un objectf à la fois humble et très audacieux. Aucune prétention auteuriste dans leur approche, seulement la volonté de produire la musique la plus agréable à l’oreille humaine, en utilisant les techniques de quelques compositeurs populaires des années 60 et 70 (Serge Gainsbourg, François de Roubaix, Roger Whittaker, Ennio Morricone).

Cette démarche faisait toute leur force de séduction, mais aussi leur faiblesse. Godin et Dunckel ne sont pas des techniciens de surfaces audio, et on ne construit pas une carrière sur la joliesse. Avec ce nouvel album, ils ont voulu explorer d’autres territoires, loin des plages un peu kitsch de leurs précédentes productions. Trop loin, diront certains fans de la première heure.

«10’000 Hz Legend», qui doit son titre au pouvoir supposé relaxant de cette fréquence sonore, a été enregistré l’an dernier à Los Angeles, et cela s’entend. Tous les morceaux ont des titres anglais, depuis le magnifique «Electronic Performers» qui donne la parole aux machines jusqu’à l’insignifiant «Caramel Prisoner» qui clôt ce disque étrangement calme, comme traité au valium.

Les textes, également en anglais, sont mumurés tantôt par des logiciels de synthèse vocale, tantôt par Jason Falkner (de Jellyfish) ou par les deux filles de Buffalo Daughter. Mais c’est la présence de Beck sur deux titres qui devait constituer l’événement majeur de l’album.

Depuis leurs débuts, les musiciens de Air ont participé à la scène semi-alternative de Californie, travaillant notamment avec les Beastie Boys (ils ont composé un titre de la compilation «GrooveBox») et avec le formidable designer Mike Mills, qui a conçu la plupart de leurs pochettes et de leurs vidéos. La rencontre avec Beck avait donc quelque chose de naturel et d’excitant. On pouvait en attendre de belles étincelles.

De ce côté-là, le résultat déçoit un peu. «The Vagabond» ressemble à une chute d’un ancien disque de Beck qui aurait été remixée par Danny Elfman alors que l’autre collaboration, «Don’t Be Light», évoque avec un certain succès les délires du krautrock des années 70.

Cet album compte au moins quatre titres («Radian», «People In The City», «Electronic Perfomers» et «How Does It Make You Feel») qui auraient pu s’intégrer dans les précédentes productions du duo. Ces titres déploient des harmonies immédiatement séduisantes et plairont à toutes les tribus précitées. Quant à «Radio # 1», le premier single, il séduit davantage par sa vidéo signée Alex & Martin que par sa mélodie évocatrice du Bowie de l’époque «Lodger».

Les autres morceaux s’aventurent sur des territoires toujours calmes mais littéralement inouïs, avec tout ce que cela peut représenter de fascinant et d’inconfortable. «Ce n’est pas un album qu’on peut juger en un jour», a déclaré Nicolas Godin dans une interview à la BBC. On ne peut que lui donner raison.

Manifestement, Godin et Dunckel ont voulu se débarrasser de leur réputation d’aimables arrangeurs pour montrer une face plus grave, plus sombre de leur personnalité (un peu comme un McCartney qui voudrait faire du Lennon). Le problème, c’est que cette face est légèrement moins intéressante. Légèrement parce que tout, chez Air, reste forcément léger.

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«10’000 Hz Legend», de Air, sortira dans le commerce le 28 mai 2001.