Michael Bloomberg, créateur de la célèbre agence économique, brigue la mairie de New York. Ses employés dénoncent des méthodes «proches du goulag».
Ceux qui ont visité la salle de rédaction de l’agence de communication financière Bloomberg à New York mentionnent invariablement le copieux buffet à disposition des journalistes. Et de s’émerveiller de la quantité de fruits frais, de snacks divers, de soupes et autres graines diétitiques «cholesterol free» généreusement offerts. «Forcément, quand on n’a même pas le droit de quitter son poste pour aller manger, le minimum est d’avoir quelque chose sous la main», s’énerve Joe Lauria, ancien reporter à Bloomberg de 1997 à 1998, spécialiste des marchés obligataires, qui ne se lasse pas de dénoncer les méthodes de travail de l’empire Bloomberg, «proches du goulag». Il n’est pas le seul.
Depuis que Michael Bloomberg, 59 ans, a fait courir la rumeur persistante de son intention de briguer la mairie de New York en novembre, son agence est devenue l’objet de l’attention soutenue des médias avides d’en savoir plus sur les qualités de gestionnaire de ce millionnaire néophyte en politique. Et le portrait dressé par les ex-employés de la compagnie n’est pas toujours flatteur. «Il gère la salle de rédaction comme une salle de marchés», poursuit Joe Lauria. Bloomberg ne se cache pas des méthodes draconiennes imposées à ses employés. «Vous devez venir tôt, partir tard, manger à votre bureau, et emporter des projets avec vous le week-end», écrit-il dans son autobiographie «Bloomberg by Bloomberg».
S’il affiche habituellement un goût prononcé pour les projecteurs, Bloomberg s’est fait discret avec la presse ces derniers mois, n’accordant que de rares interviews. Anticipant l’inévitable comparaison avec William Randolph Hearst, le magnat de la presse du début du siècle, dont la vie inspira Orson Wells pour son «Citizen Kane», Michael Bloomberg a fait produire en 1999 une vidéo-parodie de sa vie, intitulée «Citizen Mike». Certains n’y voient qu’une gestuelle destinée à conjurer le sort: l’illustre prédécesseur de Bloomberg dût enterrer ses rêves politiques. Les citoyens new-yorkais lui refusèrent aussi bien la mairie et que le poste de gouverneur de l’Etat.
Contrairement à Hearst, Bloomberg n’a tâté le journalisme que sur le tard et n’a pas hérité d’une colossale fortune paternelle. Fils d’un comptable et d’une secrétaire, né à Medford dans le Massachussets, Bloomberg incarne davantage le poster boy de l’American Dream. Malgré des notes médiocres, il entre à la Business School de Harvard. Rejeté par l’armée pour pieds plats, il échappe au Vietnam et s’installe à New York. Il débute comme stagiaire chez Salomon Brothers où il gravira un à un les échelons. Après une lutte de pouvoir, on lui fera comprendre à la fin des années 70 qu’il n’est plus le bienvenu. Il s’en ira avec une prime de 10 millions de dollars. La somme qu’il lui fallait pour mettre au point sa «boîte magique», devenue la «Bloomberg Box».
Grâce à l’appui de Merrill Lynch qui lui fait confiance, Bloomberg mettra au point un système de diffusion instantanée des valeurs des marchés et des entreprises. Au début des années 90, il ajoute à ce flot de données, des analyses et des informations économiques, devenant de fait une véritable agence de presse économique. Malgré les railleries de ses deux plus prestigieux concurrents, Reuters et Dow Jones, Bloomberg s’est construit une place enviable dans l’information financière, à Wall Street surtout. Son empire est évalué à 4 milliards de dollars et emploie 7000 personnes dans 79 bureaux à travers le monde.
Reste à savoir si le génie financier suffira à conquérir le coeur des New Yorkais. Si Michael Bloomberg est connu des milieux mondains – ses extravagantes parties sont toujours en bonne place dans les chroniques potins – il est un inconnu ou presque auprès de l’électeur moyen. Mais l’homme a des atouts. Son argent, qu’il entend investir massivement dans la campagne. Ses méthodes, inspirées d’une certaine Hillary Rodham Clinton, elle aussi «parachutée» quand elle entama sa course au poste de sénateur de New York.
Comme l’ex-First Lady, Michael Bloomberg s’est engagé dans un «tour d’écoute» des New Yorkais, visitant écoles, églises, homes pour sans abri et centres de recherche pour prendre le pouls de sa ville. Enfin, et ça n’étonnera personne, l’homme connaît des gens influents, de ceux dont l’avis pourrait compter. De sa vision politique, on sait peu de choses, sinon qu’il a changé d’affiliation politique, de démocrate à républicain, car «le terrain était trop occupé côté démocrate». Mais aucun démocrate oserait l’en blâmer à l’heure où George Bush vient de perdre sa majorité au Congrès après une semblable «déloyauté» d’un sénateur républicain.
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Maria Pia Mascaro, journaliste en poste à New York et collaboratrice régulière de Largeur.com, n’a jamais travaillé pour l’agence Bloomberg.
