LATITUDES

Allons enfants du DVD, le dézonage est arrivé

Chaque semaine, Christophe Gallaz attrape au vol un mot ou une expression en rapport à l’actualité. Aujourd’hui, le mot «dézoné».

Heil DVD (Digital Versatile Disc)! L’économie est bel et bien une forme d’assaut dirigée par des généraux qu’assistent des stratèges, des terroristes, des émissaires, des éclaireurs, des violeurs en tous genres et de petits collabos incrustés dans les territoires investis. Et nous nous amuserions du vocabulaire en vigueur dans ce monde-là s’il ne révélait son pesant d’ambitions parfaitement agressives.

Tenez, les lecteurs de DVD ou les disques DVD eux-mêmes, dont on dit qu’ils sont «zonés» et «dézonés» – c’est-à-dire bridés de telle sorte qu’ils soient interdits d’emploi, sauf dans les régions du globe que les industriels ès multimédias déterminent en vertu d’une logique de conquête maximalement bénéficiaire. D’où proviennent ces vocables?

En grec ancien, la notion de «ceinture» était évoquée par le terme «zônê», dont l’acception prit un tour médical en bas latin, dont le mot «zona» persiste inchangé dans notre langue.

A ce stade, nous sommes néanmoins encore dans un lexique de l’espace et de la géographie, puisque le zona, affection d’origine virale, se caractérise par une éruption de vésicules disposées sur le trajet des nerfs sensitifs.

Puis la «zone», au fil de l’usage linguistique, s’imprègne d’une signification nettement plus martiale. Au XVIe siècle, le vocable évoque chacune des cinq parties de la sphère terrestre divisée selon les tropiques et les cercles polaires.

Au XIXe, sous l’influence des pratiques langagières politique et militaire, sa signification s’infléchit pour lui faire désigner, de façon plus générale, une «portion de territoire».

C’est dès le commencement du siècle dernier, le XXe, que le substantif connaît son sens le plus brutal. Le mot «zone» s’entendra toujours plus souvent comme une ellipse de la «zone militaire fortifiée», locution façonnée tout exprès, à Paris, pour évoquer les faubourgs misérables qui s’étaient étendus sur les glacis des dernières fortifications de la ville.

Ainsi faut-il percevoir les aléas du «zonage» et du «dézonage», dans le domaine du DVD, comme les éléments d’un processus éminemment guerrier.

Première étape, les fabricants découpent la planète en tranches pour ne donner à lire, aux utilisateurs, que la catégorie des disques inaptes à concurrencer d’autres formes et d’autres phases de diffusion multimédiatique: oui à tel film de Walt Disney sur disques, mais seulement après la sortie du long métrage dans les salles obscures.

Autrement, une tentative de domination planétaire bien comprise, fondée sur l’assujettissement graduel de territoires occupés, selon ce principe éprouvé: vous commencez par les Accords de Munich avant de conquérir la Bohême et de subordonner la Slovaquie, puis de continuer, quelques mois plus tard, par la France.

Or dans leur arrière-boutique high tech, les saboteurs veillent. Ils bricolent les lecteurs DVD pour les dézoner, et s’y prennent dans de telles proportions que la puissance occupante finit par céder: aujourd’hui, le zonage a pratiquement disparu des pratiques commerciales.

A ce point de l’histoire, il sied évidemment d’en tirer une conclusion provisoire.

Comprenons qu’aux héros la Résistance française ont succédé les pirates électroniques, aux Droits de l’homme ceux du consommateur, et aux valeurs universelles le désir de voir n’importe quelle œuvre cinématographique en même temps qu’aux States.

Les mobiles sont un peu plus médiocres, mais une victoire, n’est-ce pas, c’est toujours ça de pris.