CULTURE

L’histoire originale de «A.I.», nouveau film de Spielberg (d’après Kubrick)

Avant de disparaître, Stanley Kubrick travaillait à l’adaptation d’une nouvelle de Brian Aldiss. Repris et terminé par Spielberg, le film sortira à la fin juin sur les écrans américains. Nous avons retrouvé le récit original. En voici un résumé.

«Les super-jouets durent tout l’été»: c’est le titre du récit original que Brian Aldiss a publié dans Harper’s Bazaar en juillet 1969. Cette histoire très touchante d’un enfant confronté à une forme de vie artificielle a été republiée par la suite dans quelques anthologies de science-fiction.

En découvrant ce récit, Stanley Kubrick a eu envie d’en faire un film. Nom de code : «A.I.», pour «Artificial Intelligence». Le cinéaste a travaillé pendant dix-huit ans au scénario, par intermittence, attendant que l’imagerie synthétique lui permette de reconstituer de manière crédible le futur imaginé par Aldiss – l’un des maîtres de la littérature anglosaxonne d’anticipation.

A l’automne 1994, après avoir visionné les effets spéciaux de «Jurassic Park» de Steven Spielberg, avec lequel il entretenait une correspondance, Kubrick décida que le moment était venu de mettre «A.I» en chantier. Il engagea quelques scénaristes sur le projet avant de tout interrompre deux ans plus tard pour travailler sur «Eyes Wide Shut». Il croyait que cette interruption était momentanée.

A la disparition du cinéaste en mars 1999, le projet «A.I.» semblait définitivement enterré. Mais l’année suivante, à la suprise générale, Spielberg annonçait qu’il allait reprendre le film à son compte.

«La vision de Stanley pour ce projet a évolué pendant dix-huit ans, déclarait Spielberg dans un communiqué. Mon intention est d’amener autant que possible cette vision à l’écran, en la conjuguant avec mes propres éléments.» Le rôle de l’enfant sera tenu par Haley Joel Osment («Sixième Sens») et celui du robot-servant par Jude Law («eXistenz»).

Nous avons retrouvé le récit original de Brian Aldiss. En voici un résumé traduit.

C’est l’histoire d’un enfant, David, qui a des problèmes de communication avec ses parents.

Il vit dans le futur avec sa famille et un Nounours robot, son unique ami. Sa mère, Monica, 29 ans, très belle, passe toutes ses journées à la maison à «penser de belles pensées». Son père, Henry Swinton, est PDG de Synthank, une compagnie qui manufacture des super-jouets en plastique. Des jouets munis de processeurs et connectés au «Réseau mondial de données».

David ne parvient pas à communiquer avec sa mère. Elle essaie de lui parler, lui tend une rose, mais il s’enfuit pour se cacher. Ils vivent dans un magnifique manoir dont le style anglais classique n’est qu’une illusion holographique. Il s’agit en fait d’un appartement situé à 500 mètres du sol, dans l’un des plus luxueux gratte-ciel de la ville, encastré parmi d’autres appartements sans fenêtres. Personne ne veut voir le monde extérieur surpeuplé.

Dans le futur imaginé par Aldiss, la majorité de la population mondiale est affamée. Pourtant, dans le pays où vivent les Swinton, les habitants souffrent d’obésité. La compagnie Synthank a donc inventé le «ver Crosswell», un ver solitaire qui vit dans l’intestin grêle. C’est un parasite sans danger qui permet aux gens de manger de grandes quantités de nourriture tout en restant minces. Synthank développe également des serviteurs synthétiques.

David est dans sa chambre et aimerait écrire à sa mère: «Chère Maman, j’espère que tu vas bien en ce moment. Je t’aime…».

«Tu crois que ça va, ma lettre?», demande-t-il à Nounours. Activé par la voix de son maître, le jouet lui répond: «C’est parfait, va la lui donner.»

«Non, ça ne va pas tout à fait. Elle ne comprendra pas. Dis-moi Nounours, comment voit-on la différence entre les choses vraies et les choses pas vraies?»

Nounours lui répond: «Les choses vraies sont bonnes.»

«Est-ce que le temps qui passe est réel, Nounours? Toi et moi, nous sommes réels, n’est-ce pas?»

«Toi et moi, nous sommes réels, David.» La spécialité de Nounours est de réconforter.

La mère de David se promène lentement dans la maison. Elle attend le courrier de l’après-midi, qui arrive par fil. Elle compose le numéro de la Poste sur le cadran de sa montre, mais rien n’arrive. Elle appelle du bas de l’escalier: «David!» Il ne répond pas.

«Nounours! Descends!», appelle-t-elle d’un ton sec. Le jouet la rejoint. «Oui, Maman», dit Nounours.

«Arrête de m’appeler Maman. Pourquoi est-ce que David me fuit? Il n’a pas peur de moi, quand même?»

«Non, il vous aime», lui répond Nounours.

«Pourquoi est-ce que nous ne pouvons pas communiquer?», lui demande-t-elle.

«David est en-haut», répond simplement Nounours.

Elle s’arrête net. Pourquoi ne monte-t-elle pas prendre David dans ses bras pour lui parler, comme le ferait une mère aimante? Elle n’entend que le poids absolu du silence dans la maison. Sur le palier d’en-haut, quelque chose bouge: c’est David qui se cache.

Son père, Henry Swinton, assiste à une réunion de travail très importante et commence son discours: «Cette journée marque une découverte sensationelle pour notre compagnie. Nous lançons sur le marché une forme de vie synthétique intelligente – un serviteur grandeur nature. Il est doté d’intelligence, d’une quantité contrôlée d’intelligence. Les clients auraient peur d’un vrai cerveau humain. Notre serviteur est équipé d’un petit ordinateur dans son crâne. Nous avons enfin trouvé comment connecter les circuits de l’ordinateur à la chair synthétique.»

Tout le monde applaudit avec enthousiasme, y compris le serviteur synthétique. C’est pour lutter contre l’isolement dont souffrent des millions de personnes que Synthank a développé ce nouveau modèle.

David, lui, fait sa valise et sort de la maison en cachette. Il s’accroupit sous la fenêtre du salon, et, prudemment, se relève pour voir Nounours à l’intérieur. Il tape à la fenêtre tout doucement et lui fait signe de sortir. Nounours sort et ils traversent ensemble le jardin en courant.

Henry Swinton ramène le serviteur synthétique chez lui. Il ouvre sa porte avec son scanner de rétine et appelle sa femme. Elle arrive et se jette dans ses bras, en l’embrassant. Tout excitée, elle lui explique qu’ils ont gagné la «loterie de parenté» cette semaine.

«Nous pouvons concevoir un enfant tout de suite», lui dit-elle.

La pression de la population est telle que la reproduction doit être strictement contrôlée. L’accouchement nécessite la permission du gouvernement.

En voyant David et Nounours qui les regardent de l’extérieur, Henry demande à sa femme:

«Qu’est-ce qu’on va faire d’eux?»

Elle lui répond: «Nounours n’est pas dérangeant. Mais le centre de communication verbale de David pose toujours des problèmes. Il faudra surement le renvoyer à la fabrique.»

Le garçon et l’ours sont assis sous les roses. «Dis-moi, Nounours: Maman et Papa sont réels, n’est-ce pas?», demande le garçon.

«Personne ne sait ce que veut vraiment dire «réel». Rentrons.»

«D’abord, je vais prendre encore une rose.» Le garçon cueille une fleur rose vif et la porte dans sa chambre, peut-être pour la coucher sur son oreiller quand il ira dormir. Sa beauté et sa douceur lui rappellent Maman.

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Traduction et résumé du récit de Brian Aldiss: Anne Harry.