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Rencontre avec Kevin Warwick, le premier cyborg

J’ai un peu hésité avant de lui demander de retrousser sa manche. Je voulais voir sa cicatrice. Il me l’a montrée en riant. Kevin Warwick est habitué à exhiber son bras gauche. C’est là, près de l’intérieur du coude, que ce professeur en cybernétique de l’Université de Reading (Grande-Bretagne) s’est fait greffer un minuscule implant de silicium en août 1998.

Il s’agissait de sa première expérience de cyborg. Son objectif: connecter son propre corps à un ordinateur. L’expérience a duré neuf jours et elle a eu un fort retentissement médiatique. Il n’en reste qu’une cicatrice.

Aujourd’hui, Kevin Warwick dirige une équipe d’une vingtaine de scientifiques et prépare une deuxième expérience incarnée, beaucoup plus ambitieuse. Il m’en a parlé lors de son passage à Genève où il était invité avec son épouse à la convention NetFinance. Le chercheur ne déteste pas ce genre de réunions professionnelles. «Cela me permet de confronter d’autres personnes aux questions éthiques suscitées par mon travail», dit-il. Accessoirement, ces réunions lui donnent aussi l’occasion d’aiguiser son humour anglais.

Kevin Warwick se demande par exemple si la science permettra un jour d’enregistrer l’orgasme d’une personne pour le transmettre à une autre personne. Il considère par ailleurs que «l’être humain est limité» et que la technologie devrait permettre d’améliorer les performances physiques et intellectuelles de l’espèce. Comment s’y prendre? Après des années recherches en informatique et en robotique, Warwick a décidé de se connecter physiquement aux machines.

Soyons honnêtes, l’expérience de 1998 ne lui a pas permis d’accomplir des miracles. Tout au plus pouvait-il, par de simples déplacements du corps, allumer des lampes ou déclencher l’ouverture des portes de son laboratoire. «Cela n’aurait pas été très différent si j’avais placé l’implant dans une poche, admet-il. C’est surtout sur le plan symbolique que l’expérience était intéressante. Elle m’a permis de sentir physiquement la présence de l’appareil sous ma peau. J’aimais bien cette sensation. Quand je l’ai enlevé, j’ai eu l’impression de perdre un ami. Ma femme était d’ailleurs un peu jalouse!»

A ses côtés, Irena Warwick acquiesce, les genoux serrés dans sa minijupe turquoise. «C’était un sentiment particulier», dit-elle. Cette jeune quadragénaire d’origine tchèque paraît très impliquée dans les expériences cybernétiques de son époux. La prochaine fois, c’est promis, elle participera.

«La nouvelle expérience devrait démarrer en novembre, annonce Kevin Warwick. Nous faisons actuellement fabriquer cinq implants électroniques. Ils seront légérement plus gros que les précédents, et plus plats. Un peu comme des cartes de crédit. J’en ferai installer un dans mon bras. Cette expérience devrait me permettre d’émettre des signaux depuis mon système nerveux vers l’ordinateur, et dans l’autre sens.»

Kevin Warwick ignore quels seront les effets d’un tel dispositif sur son cerveau. Mais si les tests sont concluants, Irena se fera installer à son tour une de ces cartes de crédit dans son bras. Et les deux époux essaieront de communiquer par ce biais.

Irena: «L’implant risque de me faire plus de mal qu’à lui, car mes bras sont plus petits!»

L’équipe de Warwick va donc tenter de capter, de décoder et de reproduire les communications du système nerveux. L’idée est d’intercepter les signaux qui circulent dans le bras au moment où le sujet décide de serrer le poing ou de bouger le pouce; puis de les reproduire artificiellement et de les transmettre à l’implant de manière à ce que le sujet exécute ces mouvements contre son gré.

La même procédure serait ensuite menée par rapport au signaux nerveux de la joie ou de l’ivresse. L’implant pourrait par exemple reproduire électroniquement les effets des antidépresseurs. «Le potentiel de la médecine électronique est immense, nous n’en sommes qu’au début», dit Kevin Warwick.

Très peu d’argent public sera affecté dans l’expérience de l’Université de Reading. «Depuis l’ère Thatcher, on ne peut plus obtenir de budgets académiques pour des projets à long terme en Grande-Bretagne, dit-il. Nous devons trouver d’autres sources de financement. Nos prochaines expériences seront notamment sponsorisées par la firme Computer Associates et, si tout va bien, par l’opérateur canadien Nortel. Par ailleurs, la compagnie Lego participe à nos développements de robots.»

On a pu reprocher à Kevin Warwick de surmédiatiser son travail. En 1998, son premier implant avait fait l’objet de nombreux reportages de presse et de télévision. «C’est mon rôle de scientifique de faire connaître mes recherches, dit-il. Je ne veux pas assumer seul les responsabilités éthiques. Ces expériences concernent l’Humanité tout entière.»

Je lui demande quel est le but final de ses recherches. «Disons qu’il s’agit d’améliorer la communication des humains avec les machines et, à terme, des humains entre eux.»

«Et d’étendre les capacités de l’homme…», souffle Irena.

«…et d’étendre les capacités de l’homme, répète son mari. Aujourd’hui, notre activité cérébrale, électrochimique, doit être traduite en mouvements mécaniques – comme la parole – pour être transmise. C’est très imparfait et très lent. J’aimerais que mon cerveau puisse communiquer directement avec une machine ou un ordinateur capable de calculer en cinq dimensions… J’aimerais pouvoir communiquer sans passer par la parole. Je pense que je verrai, de mon vivant, les premières communications de pensée à pensée.»

Kevin Warwick est aujourd’hui âgé de 47 ans. «Ça laisse encore au moins vingt ans à la science pour y arriver», dit-il.

A ses côtés, Irena acquiesce silencieusement.

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Le site de Kevin Warwick.