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Chine-Russie: un traité d’amitié en plomb

L’alliance signée lundi entre Vladimir Poutine et Jiang Zemin sera lourde de conséquences. Elle pourrait servir de support à la nouvelle gauche antiglobalisation. Par exemple.

La nouvelle a été noyée sous la pluie du week-end et les aléas olympiques, mais elle est de taille et influencera pesamment notre avenir: la Chine et la Russie viennent d’enterrer officiellement le conflit sino-soviétique qui connut son apogée dans les année 1960-1979, lorsque les deux grands du communisme mondial avaient risqué se faire la guerre.

Ce matin, lundi 16 juillet 2001, les présidents Vladimir Poutine et Jiang Zemin ont en effet signé un traité d’amitié entre leurs deux pays qui va complètement modifier les rapports de force mondiaux. C’est une internationale nationale-communiste qui est née hier matin, une alliance d’un genre nouveau qui pourrait servir de support à tout le mouvement antimondialisation qui se développe dans le monde.

National-communisme

Poutine et Jiang, Russes et Chinois, ne sont globalement pas plus communistes que vous ou moi. Jiang appelait même en début de semaine dernière le parti communiste à introduire un peu plus de capitalisme en Chine.

Mais les deux Etats, pour survivre, ont besoin d’un peu d’idéologie communiste pour permettre à leurs nombreuses et pauvres populations de respirer. Ils ont tout autant besoin de structures d’un pouvoir très autoritaire pour tenir en main les innombrables forces centrifuges au sein de leurs Etats respectifs, qui tous deux ne sont pas homogènes du tout. Ils ont besoin de nationalisme pour se poser face à l’extérieur et aux étrangers, en flattant (c’est si simple) l’instinct xénophobe du peuple qui est aussi développé chez eux que chez nous. Ils ont enfin besoin de s’entendre parce que, isolés, ils ne font pas le poids face à la puissance américaine.

L’alliance

Il faut remonter à 1950, à Mao et Staline, pour trouver une première alliance entre Pékin et Moscou. A l’époque, Staline pouvait se flatter d’avoir abattu le nazisme et sauvé l’URSS et Mao venait de terminer triomphalement la longue marche qui des campagnes lointaines le hissa au pouvoir. Le communisme était alors en phase d’expansion et leur alliance se voulait fraternelle.

Aujourd’hui rien de cela: il s’agit d’un accord entre deux grandes puissances obéissant à une logique traditionnelle de pouvoir. La Russie s’engage à soutenir la position chinoise sur Taiwan et se «prononce contre l’indépendance de Taiwan sous toute ses formes». En échange, la Chine soutient l’action russe en Tchétchénie.

On voit tout de suite le danger: si personne ne se battra en Occident pour la Tchétchénie, un durcissement chinois (et a fortiori une agression) sur Taiwan provoquerait immédiatement une crise aux retombées incalculables dans une Asie déjà affaiblie par le bourbier coréen et la crise japonaise.

Contre le bouclier américain

La coïncidence n’est pas fortuite: au moment où le président chinois atterrissait à Moscou, le Pentagone réussissait dans le Pacifique le premier exercice de son programme de bouclier antimissiles en détruisant en l’air un missile envoyé des Etats-Unis. Le rapprochement sino-russe a été brutalement accéléré par l’arrivée de G.W. Bush à la Maison Blanche.

Le traité signé hier à Moscou précise que les deux parties «soulignent l’importance du traité ABM de 1972 qui constitue la pierre angulaire de la stabilité stratégique et de la réduction des armements stratégiques». Grossièrement résumé, ils se positionnent en pacifistes favorables au désarmement face à une Amérique décidée, elle, à développer son industrie militaire avec tout ce qu’elle suppose d’éléments porteurs de croissance économique intérieure.

Si Bush persiste dans une voie que même ses alliés européens ont de la peine à soutenir, on va rapidement retrouver la nouvelle gauche antiglobalisation dans le camp des nationaux-communistes opposés à la guerre américaine des étoiles. Le piège se refermera une fois de plus sur ceux qui ne veulent pas d’une nouvelle course aux armements et d’une nouvelle division du monde, car, perdant de vue leurs objectifs premiers, la lutte contre la sauvagerie du capitalisme contemporain, ils serviront d’otages à la politique étrangères de deux Etats qu’ils n’aiment pas.

Et l’Europe?

Une fois encore, l’Europe est prise de court par une brusque accélération de l’histoire. Les Européens ne sont pas favorables à la politiques militaire de Bush. Ils savent qu’en accélérant encore la course aux armements, en provoquant l’appauvrissement de leurs adversaires, les Américains veulent aussi approfondir la désintégration politique de l’espace russe et, pourquoi pas?, faire éclater la Chine pour s’y tailler des réserves d’esclaves.

Or l’Europe n’a ni politique étrangère, ni politique militaire. Et Paris, Londres ou Berlin seuls ne comptent pas. On n’ose même pas imaginer ce qu’elle fera si, comme c’est prévisible, l’entrée prochaine d’un pays balte dans l’OTAN fera non seulement hurler Moscou mais aussi rugir Pékin.